jeudi 24 juin 2010

Désert connu et mélodie terroriste (du GSPC à al-Qaida du Maghreb)

Nous suivons le journaliste Thierry Oberlé envoyé spécialement pour jauger des progrès d’Al-Qaida dans le Sahara, nous annonce-t-il dans le titre, pour évoquer ensuite dès le préambule « des bases mobiles installées dans le Sahel. » La deuxième phrase commence ensuite par ce rappel : « Devenu al-Qaida au Maghreb, l’ex – GSPC algérien se sert du nord du Mali comme d’un sanctuaire… » Ces confusions géographiques dans la terminologie laissent craindre que le journaliste du Figaro ne s’égare rapidement. Et les mauvaises rencontres ne manquent pas !

Quoi qu’il en soit, les quatre termes en gras ne peuvent en aucun cas s'interchanger : le deuxième borde le premier (Sahel signifie rivage, en arabe), le Sahara s’étendant au nord des deux boucles les plus septentrionales des fleuves Niger et Sénégal (voir ici). La savane sèche sahélienne ponctuée d’arbres épars reçoit plus de 200 millimètres de précipitations, ce total diminuant très vite lorsqu’on progresse vers le nord, dans le désert lui-même. Le terme Maghreb désigne lui le groupe des pays arabisants et islamisés du Couchant (les plus à l’ouest) à l’intérieur duquel ne rentre pas le Mali (voir ici)

Thierry Oberlé écrit depuis Kidal, une bourgade touarègue de l’Adrar des Ifoghas, ancien bagne français et étape importante sur l’ancienne route caravanière qui reliait les bords du Niger (Gao) à In Salah, via Tamanrasset dans le Sahara algérien. Apparemment peu recherchée par les touristes, la région attire toutefois les contrebandiers (voir après) mais aussi les « colonnes d'al-Qaida ». Le journaliste ne maintient pas longtemps le mystère sur ses effectifs. « Les djihadistes, qui seraient une centaine, appartiennent au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) » : bien maigres colonnes, pourtant accusées par Thierry Oberlé d’avoir projeté à elles seules – avant de changer de nom – un coup d’Etat à Alger !

Etonnante coïncidence, l’AFP annonce le report du procès de l’un des dirigeants historiques du groupuscule arrêté il y a trois ans, El Para. La justice entendra en juin à Alger cet ancien officier des services de renseignement algérien (jusqu’en 1991), âgé aujourd’hui de cinquante et un an. Peut-être dévoilera-t-il à cette occasion les secrets du GSPC ? Beaucoup soupçonnent El Para d’avoir agi pour le compte de l’armée, son ancien employeur ; il y a quatre mois, j’en disais déjà quelques mots. (voir Cigarettes et mitraillettes aux confins algériens).

Revenons aux terroristes de Thierry Oberlé. Cette armée de poche se déplace sans cesse, explique-t-il, sans se soucier de frontières non matérialisées dans le désert, faut-il le rappeler. S’ils ne s’en préoccupent pas, les experts anti-terroristes le font en tout cas à leur place : ces derniers les localisent sans hésiter dans le nord du Mali : PARCE QUE le pays est PAUVRE (comme en Arabie Saoudite, sans doute ?) ; mais A l’EVIDENCE, pas à l’intérieur des frontières algériennes. Pensez-vous : « l’intérêt stratégique […] la ligne de césure entre le Nord et Sud. » Etc. Les choses sont claires, et il ne faut pas être malien pour s’aveugler !

Les nomades interrogés sur le sujet décrivent quant à eux une logistique qui s’apparente plus à celle d’une armée régulière qu’à une bande de rebelles esseulés, avec : « une quinzaine de véhicules équipés de mitrailleuses 12,7 et chargés de citerne. […] Ils se ravitaillent en carburant grâce à des réserves enterrées au bord des pistes. Des ‘stations-service’ souterraines qu'ils retrouvent par GPS. Les combattants disposent d'armes lourdes, de mortiers et de missiles terre – air. Du matériel de pointe leur permet de brouiller les écoutes de leurs communications par téléphone satellitaire Thuraya. »

Heureusement, le journaliste se réfère aussi à deux sources occidentales sûres : la DGSE et la police espagnole. Celles-ci ne se perdent pas en extrapolations, mais s’accordent sur un fait : des volontaires ou des terroristes trouvent dans le cœur du Sahara un (ou plusieurs) camp(s) d’entraînement(s). Sont cités pêle-mêle des Mauritaniens, des Nigérians, ou encore des Marocains. Les Touaregs de l’Adrar des Ifoghas (de nouveau entrés en rébellion en 2006) pourraient aussi avoir reçu un appui. Tous reçoivent une instruction, une formation « au maniement des armes et des explosifs ainsi qu'à l'utilisation de toxiques », et des bases de connaissance pour « lancer des opérations suicides. » Les renseignements s’accumulent et mettent à mal les hypothèses évoquées dans le paragraphe précédent ; celles-ci évoquent des colonnes mobiles, et non un camp de recrutement fixe et facilement repérable.

En arrivant à ce niveau de l’analyse, il faut incorporer une dimension essentielle : l’existence de multiples trafics (objet d’un article complémentaire ), celui de cigarettes arrivant parmi les plus fructueux, avec celui des immigrants clandestins. Les armes importées proviennent des ports de l’Atlantique (Guinée, Côte d’Ivoire et Libéria) et traversent le Sahara. Vers le sud, T. Oberlé évoque les trafics de cannabis, de cocaïne et d’héroïne, témoignant qu’à l’inverse de l’idée reçue, l’Afrique noire connaît un rythme de croissance rapide, avec en corollaire l'apparition d'une classe de nouveaux riches. Les plus gros trafics concernent néanmoins, selon toutes vraisemblances, le carburant. Plutôt bon marché en Algérie, mais rare dans le reste du Sahara occidental, il permet de dégager des bénéfices confortables pour les passeurs ; les contrôles en Algérie semblant assez légers… « Sur la place de la gare routière de Kidal, même l'armée régulière malienne achète l'essence au marché noir. »

Ces échanges illégaux s’avèrent cruciaux au plan économique mais ne semblent pas vraiment à la hauteur de la menace d’un terrorisme virulent, d’un al-Qaida du Maghreb. Il ne paraît pas possible de repousser plus longtemps une question oubliée (…) par Thierry Oberlé : quel rôle joue l’armée algérienne dans le Sahara ? Bien des indices convergent pour l’accuser… Sans preuve irréfutable : l’histoire passée (du parrainage du Front Polisario combattant les Forces Armées Royales marocaines, au GiA puis au GSPC d’El Para), ou encore l’équipement et les formations dispensés quelque part dans le Sahara.

Même en admettant qu’ils ne prêtent aucune allégeance à l’un ou l’autre des régimes de la région, on ne peut nier en tout cas que les terroristes de l’ex – GSPC rendent un service inespéré au pouvoir militaire d’Alger : légitimation auprès des gouvernements français et américain, mais aussi à destination de l’opinion publique algérienne. En plusieurs années, les terroristes incriminés ont revendiqué des attentats en petit nombre, de faible ampleur et bien peu choquants pour la majorité arabe d'Algérie : « une attaque contre un transport de personnel russe, sept attentats à la bombe contre des gendarmeries et des commissariats en Kabylie et une attaque contre un transport de personnel d'une société américaine près d'Alger. » (AFP / Le Monde – 19 mars 2007)

PS./ Dernier papier sur l’Algérie : Vagues, vaguelettes et fossé.

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