vendredi 25 juin 2010

Le monde à l’échelle d’une aire d’autoroute (sur les faux-semblants de la lutte contre la déforestation)


Caroline de Malet s’occupe des questions environnementales au Figaro, ce qui l’amène à s’intéresser à la lutte contre la déforestation, combat écologique qui comble à dates régulières les colonnes de journaux. En résumé, il faut moins se préoccuper des fluctuations de la superficie forestière dans le monde que de son mode de disparition. En recourant au feu, les défricheurs provoquent une grave pollution atmosphérique. Certes, les nuages de fumée se dissipent finalement dans l’air. A force pourtant, ils s’agglutinent et filtrent le rayonnement solaire. Par un raccourci rapide, on peut par conséquent affirmer que le moindre feu de bois aggrave le mécanisme général d’effet de serre. Partant de ce principe, Caroline de Malet indique dans le titre de son article que « la protection des forêts est un outil de lutte contre le réchauffement. »
Chiffre de la revue Science à l’appui, Caroline de Malet évalue à 1,5 milliard de tonnes de carbone les quantités rejetées dans l’atmosphère à cause des feux de forêts (déclenchés pour les défrichements) : un cinquième des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’origine humaine. « Limiter ce phénomène permettrait donc non seulement de préserver la biodiversité, mais également de contribuer à la lutte contre le changement climatique. » En brûlant moins de forêts, on a plus de bois. « Soit l'ensemble de la planète s'efforce de réduire la déforestation de moitié, soit elle limite ses efforts à une réduction de 20 %. Par ailleurs, soit elle arrête totalement de déforester [sic] quand il reste encore la moitié des forêts primaires, soit elle attend qu'il n'en reste plus que 15 % pour cesser. […] Dans le plus vertueux des scénarios (50 Gt), cela représenterait donc 12 % des réductions d'émissions prônées par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec, Ipcc en anglais) de l'ONU. » Beaucoup d’efforts, annoncent les Cassandre, mais sans aucun espoir de résultat probant ; le désert sans l’annonce de la résurrection.
La journaliste regrette à ce titre le pêché par omission des signataires du protocole de Kyoto, qui n’abordent pratiquement pas la question de la déforestation, se bornant à évoquer la création d’une bourse d’échange entre pays industrialisés et pays en développement : les premiers obtiennent des seconds des crédits de carbone en contrepartie d’hectares replantés… Caroline de Malet semble s’étonner du peu de résultats obtenus. Mais les scientifiques ont tout simplement mésestimé la caractéristique principale de nombreux pays du Tiers-monde : l’absence de cadastre et de statistiques (ou leur caractère non systématique), de gestionnaires forestiers, et plus largement d’administrations compétentes. Accusera-t-on les quelques fonctionnaires mal payés responsables de l’application d’une loi mal définie qui améliorent leur salaire médiocre en fermant les yeux sur telle ou telle coupe sombre, contre monnaie sonnante et trébuchante ? De toutes façons, qui viendra surveiller l’état de la forêt dans une île indonésienne ou au beau milieu de l’Amazonie ? Si l’on pince un jour le coupable d’une infraction, un peu plus teigneux ou désargenté que les autres, ou manquant d’appuis politiques, de quelle peine écopera-t-il ? Après tout, couper un arbre, ce n’est quand même pas violenter, voler ou tuer, monter un attentat, racketter ses semblables ou vendre de la drogue… De quelle peine écopera le malchanceux pris sur le vif ? [voir la situation en Chine]
Mais à l’échelle des Etats et du dialogue Nord – Sud, l’échec relatif de la bourse d’échange de crédits de carbone, ne révèle-t-il pas simplement le rejet par les gouvernements concernés de ladite bourse ? Les critiques à l’encontre des politiques d’aide au développement (Easterly) témoignent de la réticence envers tout transfert de fonds, et plus largement du désintérêt du monde développé vis-à-vis du Tiers-monde. Nombre de représentants des pays en développement considèrent à l’inverse d’un mauvais œil toute ingérence qualifiée de néo – ou de post – coloniale. En témoignent les déclarations récentes du président brésilien Lula qui repousse toute idée de moratoire sur les défrichements forestiers dans son pays.
Caroline de Malet constate à ce sujet que des Etats du Sud ont réussi à délimiter ici ou là des zones forestières protégées, mais au prix d’une exclusion des populations résidentes ou voisines, et non sans arrière-pensées touristiques. On ajoutera les conséquences négatives des politiques environnementalistes. A cause de la brusque envolée de la demande en éthanol – présenté comme un carburant bio et alternatif aux hydrocarbures fossiles – l’agriculture brésilienne traverse une crise. La production habituelle de canne à sucre ne suffit plus. « Pour faire face à la pénurie, 40 à 50 nouveaux sites de production devraient compléter d’ici l’année prochaine les 340 déjà existants, ce qui entraînera de nouveaux défrichements. » (Washington Post cité par Courrier International n°830 / Du 28 septembre au 4 octobre 2006 / P.55).
En conclusion, la journaliste concède ne pas pouvoir dissocier la question de la forêt de celle de la pauvreté dans le monde, puisqu’un milliard de personnes dépendent plus ou moins directement pour leur subsistance de celle-ci. Mais elle se tait sur les raisons expliquant cette situation, la première étant culturelle. Des populations longtemps classées par les anthropologues comme primitives pratiquent ainsi la culture sur brûlis. En Amazonie, dans le bassin du Congo, ou en Asie du Sud – Est, celles-ci s’installent dans un site pour quelques mois et se ménagent une clairière pour planter de quoi compléter le produit de la chasse, de la pêche ou de la cueillette. Une fois les sols lessivés, ces populations partent s’installer un peu plus loin. L’impact de la déforestation dépasse néanmoins le cas isolé de ces sociétés de la forêt. Voir aussi ce complément .
Dans l’article, le qualificatif de pillage apparaît à deux reprises, pour figurer une causalité exogène ; le nord responsable. Le représentant de Greenpeace cité par Caroline de Malet pointe du doigt en effet les industriels du bois ; c’est plus facile que de dénoncer la mode des bois dits exotiques en Occident. Mais au fond, le problème de départ concernait les feux de forêt. Dans nombre de pays du Tiers-monde, le bois sert de combustible pour cuire les aliments et se chauffer. Etant donné les prix de l’essence et du charbon – du fait de la consommation énergétique des pays industrialisés – et la gratuité du bois, un changement profond paraît peu probable. La déforestation à vocation agricole pollue finalement parce que les défricheurs utilisent souvent des produits inflammables : dans la zone intertropicale, les pluies éteignent facilement les feux naturels. Les feignants pourraient quand même penser à l’environnement… Avec une bonne machette – car la tronçonneuse consomme du carburant – la forêt pourrait régresser sans dommage.
On s’aperçoit que les présupposés de la journaliste posent quelques problèmes : le monde pastiché, à l’échelle d’une aire d’autoroute, où des panneaux rappellent tous les dix mètres l’interdiction de jeter les papiers gras ou d’allumer un barbecue. Caroline de Malet esquisse un raisonnement aussi vain qu’utopique : un fossé sépare d’un côté la réflexion globale sur les climats, et de l’autre l’action locale. Une phrase commençant par Ce serait bien si annonce des vœux pieux comme il était une fois les histoires de princesses enfantines.

PS./ Dernier papier sur les effets pervers de politiques environnementalistes : Ne pas confondre panade et tortilla.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire