jeudi 24 juin 2010

Vieillissement en Extrême-Orient (au Japon, vieilleries et duperies - suite)

« Le vieillissement de la population angoisse les Japonais » annonce aujourd’hui la journaliste Sixtine Léon-Dufour dans le Figaro . A suivre son sous-titre – Retraites, santé, aide aux familles, les Nippons vont devoir mettre la main à la poche – rien ne va plus au Japon. Les faits sont là, effectivement, que l’on ne peut contourner : « [un] Japonais sur cinq a désormais plus de 65 ans. » Tout indique que la tendance se poursuivra, faute d’inversion du solde migratoire, et d’un rebond du croît naturel : selon les prévisions les plus alarmistes, « le pays ne comptera plus que 60 millions d'habitants en 2100, contre plus du double aujourd'hui. » Laissons cependant de côté la dimension psychologique du titre (inquiétude): l’individu perçoit-il vraiment l’évolution de la moyenne d’âge dans sa ville, au sein de sa propre nation ? Ne s’angoisse-t-il pas avant tout pour lui-même à cause de l’écoulement inexorable du temps ? Omnes vulnerant ultima necat…

« Que faire de leurs ‘vieux’ dans un pays où les structures idoines font défaut ? » A cette question, le reste de l’article apporte paradoxalement des réponses. Huit millions de Japonais prennent leur retraite cette année, apprend-on ; mais beaucoup vont continuer à exercer une activité rémunératrice, à défaut d’un travail en bonne et due forme. Ils vont s’y résoudre, sans doute parce que le montant des retraites ne suffit pas pour vivre décemment, pour payer les études de l’enfant éventuel, ou pour s’autoriser quelques extras ; dans la conurbation de Tokyo, le coût de la vie dépasse celui des capitales européennes. La pénurie de main d’œuvre doit en outre pousser à la hausse des salaires (à vérifier dans les statistiques). Le problème du renouvellement de la main d’œuvre pour des métiers peu qualifiés et à moyenne (ou forte) pénibilité reste toutefois entier : ceux-ci sont inaccessibles aux plus de 65 ans. Seule l’immigration permettrait de satisfaire les besoins, mais on verra un peu plus loin que la politique migratoire restrictive du gouvernement japonais l’en empêche. L’adaptation requise ne se fait pas finalement sans frictions, d’autant que les Japonais ont compris qu’ils ne « sont pas près de souffler, ni professionnellement ni financièrement. »

« Le premier ministre, lui, prépare les esprits aux ‘lourds fardeaux’ qui vont ‘ peser sur les jeunes’. » Il laisse passer deux imprécisions non dénués d’arrière-pensées. L’Etat japonais, manifestement aux prises avec d’autres dossiers épineux, se déchargera sur les régions – c’est son souhait exprimé – du financement des retraites : « les collectivités locales vont même être obligées d'émettre des emprunts exceptionnels pour y répondre... ». Sixtine Léon-Dufour ne relève donc pas le contresens. Car de nombreux jeunes (dans quelle proportion ?) poursuivent leurs études dans le supérieur et rentrent tardivement sur le marché du travail : que n’a-t-on pas dit sur leur vague à l’âme, sur les taux records de suicide des adolescents japonais ? D’un autre côté, les actifs dans leur ensemble financent les retraites. Ainsi, un sexagénaire au travail cotise au même titre qu’un trentenaire : au Japon, « 20 % des plus de 65 ans travaillent, contre 2 % en France. »

La journaliste utilise à tort l’expression de baby-boomers : au Japon, en 1945, le pays est ruiné, et l’occupant américain se montre très favorable à une politique anti-nataliste restrictive dans l’Archipel. Ainsi, les générations des enfants nés dans l’après-guerre, et qui arrivent maintenant à l’âge de soixante ans sont moins étoffées que les précédentes (exception faite de la parenthèse de 1941 – 1945) ; à l’inverse de ce que l’on observe en Europe et en Amérique du Nord. Mais au Japon, se pose en contrepartie un problème inconnu en Occident, la prise en charge du nombre exceptionnel de personnes de plus de 80 ans… Ces dernières appartiennent aux classes d’âge exceptionnellement nombreuses de la fin du XIXème siècle – pour les centenaires – et du début du siècle dernier : le Japon n’a pas connu les saignées de la première guerre mondiale). En résumé au Japon, le problème du vieillissement, c’était HIER, et c’est AUJOURD’HUI, et non demain !

La journaliste du Figaro clôt son papier sur des objectifs gouvernementaux assez classiques, conjuguant incitation au travail des femmes, et politique nataliste : « il faudrait prévoir plus de structures d'accueil pour les enfants, une augmentation des prestations sociales. » Et s’il convient de relativiser le problème des retraites – on l’a vu – le financement des dépenses de santé demeure entier. L’âge moyen des Japonais progresse chaque année, impliquant une demande de soins en augmentation. Quant aux trous de main d’œuvre, les gains de productivité, la robotisation ou les délocalisations ne peuvent suffire ; une remise en cause des quotas s’avèrera sans doute nécessaire.

Mais contrairement à ce que laisse entendre Sixtine Léon-Dufour, le vieillissement soulève des problèmes d’ordre géographique au moins autant qu’économique. Je m’en tiendrai à deux principaux. Sur la façade sud de l’île principale d’Honshu , environ 50 millions de Japonais vivent concentrés en trois pôles : Tokyo (et l’ensemble de la plaine du Kanto, au sud-est), Nagoya et Osaka – Kobe. Il est facile d’y voir aujourd’hui un signe de fragilité. Depuis au moins quatre décennies, le cœur de l’Archipel a bousculé à lui tout seul la hiérarchie des plus puissantes régions économiques de la planète : ports, industries littoralisées, haute technologie, services… Il n’y a guère que la Californie ou le nord-est américain à pouvoir rivaliser ! Il n’empêche que la concentration des activités et de dizaines de millions d’habitants engendre des nuisances contre lesquelles les autorités veulent lutter (encombrement, pollution, etc.) Or le vieillissement renforce la concentration urbaine (les personnes âgées ont besoin de services) et accentue la désertification du Japon rural et montagneux de l’intérieur.

L’archipel s’est bâti par ailleurs sur la conquête du milieu et la résistance aux assauts de la nature : cyclones, raz de marée, éruptions volcaniques et tremblements de terre ponctuent la vie des Japonais. Au cours du dernier demi-siècle, les autorités ont réussi à relever ce défi (adaptation et modernisation) en militarisant – si j’ose dire – la sécurité civile et en organisant la ville de façon à atténuer l’impact destructeur des séismes. En 1923, le grand tremblement de terre de Tokyo fit plus de 100 000 victimes, contre moins de 5 000 à Kobe (en 1995). Mais cette politique achoppe sur le vieillissement : plus on vieillit, moins on réagit vite, et moins on résiste à des conditions extrêmes (ensevelissement) propres aux bâtiments effondrés.

En conclusion, le vieillissement est plus inattendu qu’il n’y paraît. Et les questions se posent à l'échelon individuel plutôt qu'à l'échelle de la nation. Qu'il n'y ait plus que 60 millions de Japonais en 2100 impliquera une division par deux des densités : qui s'en plaindra dans l'Archipel !?

PS./ Dernier papier sur les questions du vieillissement : Vieillissement et balbutiements.

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