Dans la Croix du 1er octobre, Gwladys Fouché enquête sur la délocalisation des soins médicaux à partir de la Norvège, en direction de l'Andalousie. Le lecteur suit le parcours d'un retraité de 63 ans qui séjourne dans le sud de l'Espagne aux frais de la princesse. Le choix entre le doux soleil méditerranéen et les durs hivers nordiques semble évident, à la défaveur de la Scandinavie. Le médicament prescrit est à portée de main, auquel on prête ici tous les miracles, à quelques oublis près : les cancers de la peau, les canicules ravageuses, l'eau qui se fait si rare l'été dans le sud de l'Espagne. Qu'importe, le client hyperboréal ne regarde pas à la dépense : les littoraux espagnols trouvent là une occasion d'élargir leur clientèle, et de se développer économiquement ; à l'inverse, la sécurité sociale norvégienne gagne dans ces transferts de quoi réaliser de substantielles économies. Les résidents à l'année cotoient des curistes venus pour quelques jours. Et les centres de soins 100 % norvégiens créés in situ coûtent moins cher que leurs équivalents en Norvège, nous indique la journaliste : « Les coûts fixes sont moindres, les salaires sont moins chers et les traitements que nous offrons aussi. L'Etat norgégien économise de l'argent. »
En bref, tout le monde y gagne. Concernant le personnel, Gwladys Fouché précise qu'ils sont norvégiens, ou à défaut qu'ils parlent la langue : cela ne revient pas tout à fait au même. L'externalisation abaisse les charges d'une entreprise, parce qu'elle rogne sur la masse salariale : il existe un gros écart de rémunération entre les deux pays. En 2004, le salaire horaire médian en Norvège est en moyenne deux fois plus élevé qu'en Espagne. En prenant comme indice 100 le salaire horaire médian du Danemark [le plus élevé d'Europe (28 €, contre 14,2 € en France) / indice 51], la Norvège se place à l'indice 69 et l'Espagne à l'indice 37 [sources] Les statistiques espagnoles ne prennent pas en compte de surcroît les travailleurs illégaux, qui rendent l'économie espagnole si compétitive ; pas de Norvégiens sans Maghrébins, pourrait-on presque dire....
Mais deux dynamiques démographiques s'affrontent entre la Norvège (4,7 millions d'habitants) et l'Espagne (45,5 millions) : les Norvégiennes ont en moyenne 1,8 enfant par femme contre 1,3 pour les Espagnoles. En Norvège, les moins de 15 ans sont plus nombreux (20 %) que les plus de 65 ans (15 %). En Espagne la situation inverse prévaut : 14 % de moins de 15 ans pour 17 % de plus de 65 ans. [Population Reference Bureau – 2006] On peut évidemment rêver : alors, les problèmes de santé liés au vieillissement, à l'entrée dans un âge avancé, ne se poseraient pas en Espagne, grâce au soleil. Dans le film La Fleur de mon secret, Almodovar expédie son personnage principal (Marisa Paredes) à des heures de voiture de Madrid, pour un séjour dans son village natal. Cet écrivain de best-sellers à l'eau de rose en pleine crise existentielle accompagne sa vieille mère qui ne supporte plus de vivre aux crochets de ses filles vivant dans la capitale. Le cinéaste filme l'arrivée de la voiture dans une rue déserte. Lorsque le moteur s'arrête devant la maison, les portes s'ouvrent laissant apparaître plusieurs vieilles femmes ravies d'accueillir leur amie et voisine... Toutes se retrouvent bien vite autour de leurs travaux de coutures ; sans hommes, et sans enfants.
On pressent là l'évolution démographique des régions éloignées des grandes agglomérations et des côtes, surtout celles pâtissant d'une mauvaise desserte routière ou de l'absence de hauts lieux recherchés par les touristes. L'Espagne intérieure et rurale se meurt, et les infrastructures financées par la sécurité sociale norvégienne n'y changent rien. L'installation des riches scandinaves fait sans doute d'ores et déjà augmenter (offre stable contre demande croissante) les salaires des professionnels espagnols du vieillissement, et l'on peut craindre des tensions sociales fortes au regard des écarts de niveaux de vie dans la péninsule entre retraités. Il reste que le niveau de richesse par habitant en Espagne empêche tout alignement sur la Norvège pour la prise en charge de ses personnes âgées.
L'exportation des retraités norvégiens suscite l'interrogation, du point de vue de la Norvège, cette fois. Contrairement aux curistes dont le séjour est balisé dans le temps, il s'agit ici d'une installation décrite comme définitive par Gwladys Fouché : « Si vous êtes résident d'une maison de retraite à Stavanger, une ville de 115.000 habitants sur la côte sud-ouest de la Norvège, vous avez le choix de passer l'hiver, soit à Chypre soit à Alfaz del Pi. Il en va de même pour les résidents des maisons de retraite de Bergen, seconde ville du pays, la capitale Oslo, ou Baerum, une ville de 105.000 habitants dans la grande banlieue d'Oslo. Tous ont la possibilité de venir passer quelque temps ou même le reste de leurs jours, dans une des résidences norvégiennes d'Alfaz del Pi. » N'accusera-t-on pas l'organisme public qui finance les infrastructures, de coloniser une portion de territoire espagnol ? Ne parlera-t-on pas d'envahissement, si le nombre de Nordiques continue d'augmenter dans des régions déjà fortement marquées par la présence d'Européens du nord [voir cette carte]. Pour l'heure il est vrai, ces phénomènes migratoires ne déclenchent pas de nette opposition en Espagne, mais le fossé socio-culturel entre Espagnols et Nord – européens existe bien, au plan des moeurs ou de la religion, toujours susceptible de déclencher des tensions : l'été dernier (2007), une des affaires à l'origine d'un sinistre feuilleton à rebondissements est née de la disparition d'une petite anglaise au Portugal, puis des tensions entre la justice locale et les parents de la victime, jouant sur leur nationalité d'origine.
En cas de difficulté majeure à l'échelle de la région méditerranéenne, se pose également la question de la prise en charge des milliers de Norvégiens... L'Espagne connaît de nombreux risques naturels, d'origine climatologique ou sismique ; fin décembre 2004, de nombreux touristes européens passaient leurs vacances en Thaïlande et ont disparu dans le tsunami qui a ravagé la région la veille de Noël. Des gouvernements nord – européens (en Suède par exemple) ont du organiser en dernière minute une prise en charge pour les uns, un rapatriement des corps pour les autres, le tout à des milliers de kilomètres de l'épicentre.
Il ne faut pas négliger en outre le risque terroriste. Le mouvement séparatiste basque Eta a lui aussi songé par le passé à prendre en otage les étrangers présents en Espagne, même ceux vivant en dehors des sept provinces : « Durant l'été 1996, l'Eta a lancé six attaques à la bombe amenant la destruction de plusieurs hôtels sur la Costa Dorada ainsi qu'une attaque contre l'aéroport de Réus près de Barcelone causant 35 blessés. Plus récemment la période 1999 – 2001 a été marquée par une nouvelle série d'attentats (plus de 30 entre juillet 2000 et mi-juin 2001) occasionnant la mort de 29 personnes. Bien que les victimes soit essentiellement des politiciens, des militaires et des journalistes. Ces attentats font peser sur l'ensemble du pays, et surtout sur les zones touristiques, une menace constante. » [sources].
En conclusion, il reste à aborder un dernier aspect, qui touche aux fondements du déplacement de centaines de personnes du nord vers le sud de l'Europe. Les plus vieux s'isolent parce qu'ils se sentent inutiles ; leur présence indisposerait-elle ? Tous ces retraités décidant d'abandonner les rivages de la mer du Nord pour ceux de la Méditerranée témoignent du caractère très ténu des liens familiaux. L'exportation de personnes âgées signifie l'absence de contact avec la famille, de solidarités inter-générationnelles. Il y a de ce point de vue plus à perdre qu'à gagner : le soleil sans petits-enfants laisse le coeur froid : dur soleil méditerranéen contre doux hivers nordiques...
En bref, tout le monde y gagne. Concernant le personnel, Gwladys Fouché précise qu'ils sont norvégiens, ou à défaut qu'ils parlent la langue : cela ne revient pas tout à fait au même. L'externalisation abaisse les charges d'une entreprise, parce qu'elle rogne sur la masse salariale : il existe un gros écart de rémunération entre les deux pays. En 2004, le salaire horaire médian en Norvège est en moyenne deux fois plus élevé qu'en Espagne. En prenant comme indice 100 le salaire horaire médian du Danemark [le plus élevé d'Europe (28 €, contre 14,2 € en France) / indice 51], la Norvège se place à l'indice 69 et l'Espagne à l'indice 37 [sources] Les statistiques espagnoles ne prennent pas en compte de surcroît les travailleurs illégaux, qui rendent l'économie espagnole si compétitive ; pas de Norvégiens sans Maghrébins, pourrait-on presque dire....
Mais deux dynamiques démographiques s'affrontent entre la Norvège (4,7 millions d'habitants) et l'Espagne (45,5 millions) : les Norvégiennes ont en moyenne 1,8 enfant par femme contre 1,3 pour les Espagnoles. En Norvège, les moins de 15 ans sont plus nombreux (20 %) que les plus de 65 ans (15 %). En Espagne la situation inverse prévaut : 14 % de moins de 15 ans pour 17 % de plus de 65 ans. [Population Reference Bureau – 2006] On peut évidemment rêver : alors, les problèmes de santé liés au vieillissement, à l'entrée dans un âge avancé, ne se poseraient pas en Espagne, grâce au soleil. Dans le film La Fleur de mon secret, Almodovar expédie son personnage principal (Marisa Paredes) à des heures de voiture de Madrid, pour un séjour dans son village natal. Cet écrivain de best-sellers à l'eau de rose en pleine crise existentielle accompagne sa vieille mère qui ne supporte plus de vivre aux crochets de ses filles vivant dans la capitale. Le cinéaste filme l'arrivée de la voiture dans une rue déserte. Lorsque le moteur s'arrête devant la maison, les portes s'ouvrent laissant apparaître plusieurs vieilles femmes ravies d'accueillir leur amie et voisine... Toutes se retrouvent bien vite autour de leurs travaux de coutures ; sans hommes, et sans enfants.
On pressent là l'évolution démographique des régions éloignées des grandes agglomérations et des côtes, surtout celles pâtissant d'une mauvaise desserte routière ou de l'absence de hauts lieux recherchés par les touristes. L'Espagne intérieure et rurale se meurt, et les infrastructures financées par la sécurité sociale norvégienne n'y changent rien. L'installation des riches scandinaves fait sans doute d'ores et déjà augmenter (offre stable contre demande croissante) les salaires des professionnels espagnols du vieillissement, et l'on peut craindre des tensions sociales fortes au regard des écarts de niveaux de vie dans la péninsule entre retraités. Il reste que le niveau de richesse par habitant en Espagne empêche tout alignement sur la Norvège pour la prise en charge de ses personnes âgées.
L'exportation des retraités norvégiens suscite l'interrogation, du point de vue de la Norvège, cette fois. Contrairement aux curistes dont le séjour est balisé dans le temps, il s'agit ici d'une installation décrite comme définitive par Gwladys Fouché : « Si vous êtes résident d'une maison de retraite à Stavanger, une ville de 115.000 habitants sur la côte sud-ouest de la Norvège, vous avez le choix de passer l'hiver, soit à Chypre soit à Alfaz del Pi. Il en va de même pour les résidents des maisons de retraite de Bergen, seconde ville du pays, la capitale Oslo, ou Baerum, une ville de 105.000 habitants dans la grande banlieue d'Oslo. Tous ont la possibilité de venir passer quelque temps ou même le reste de leurs jours, dans une des résidences norvégiennes d'Alfaz del Pi. » N'accusera-t-on pas l'organisme public qui finance les infrastructures, de coloniser une portion de territoire espagnol ? Ne parlera-t-on pas d'envahissement, si le nombre de Nordiques continue d'augmenter dans des régions déjà fortement marquées par la présence d'Européens du nord [voir cette carte]. Pour l'heure il est vrai, ces phénomènes migratoires ne déclenchent pas de nette opposition en Espagne, mais le fossé socio-culturel entre Espagnols et Nord – européens existe bien, au plan des moeurs ou de la religion, toujours susceptible de déclencher des tensions : l'été dernier (2007), une des affaires à l'origine d'un sinistre feuilleton à rebondissements est née de la disparition d'une petite anglaise au Portugal, puis des tensions entre la justice locale et les parents de la victime, jouant sur leur nationalité d'origine.
En cas de difficulté majeure à l'échelle de la région méditerranéenne, se pose également la question de la prise en charge des milliers de Norvégiens... L'Espagne connaît de nombreux risques naturels, d'origine climatologique ou sismique ; fin décembre 2004, de nombreux touristes européens passaient leurs vacances en Thaïlande et ont disparu dans le tsunami qui a ravagé la région la veille de Noël. Des gouvernements nord – européens (en Suède par exemple) ont du organiser en dernière minute une prise en charge pour les uns, un rapatriement des corps pour les autres, le tout à des milliers de kilomètres de l'épicentre.
Il ne faut pas négliger en outre le risque terroriste. Le mouvement séparatiste basque Eta a lui aussi songé par le passé à prendre en otage les étrangers présents en Espagne, même ceux vivant en dehors des sept provinces : « Durant l'été 1996, l'Eta a lancé six attaques à la bombe amenant la destruction de plusieurs hôtels sur la Costa Dorada ainsi qu'une attaque contre l'aéroport de Réus près de Barcelone causant 35 blessés. Plus récemment la période 1999 – 2001 a été marquée par une nouvelle série d'attentats (plus de 30 entre juillet 2000 et mi-juin 2001) occasionnant la mort de 29 personnes. Bien que les victimes soit essentiellement des politiciens, des militaires et des journalistes. Ces attentats font peser sur l'ensemble du pays, et surtout sur les zones touristiques, une menace constante. » [sources].
En conclusion, il reste à aborder un dernier aspect, qui touche aux fondements du déplacement de centaines de personnes du nord vers le sud de l'Europe. Les plus vieux s'isolent parce qu'ils se sentent inutiles ; leur présence indisposerait-elle ? Tous ces retraités décidant d'abandonner les rivages de la mer du Nord pour ceux de la Méditerranée témoignent du caractère très ténu des liens familiaux. L'exportation de personnes âgées signifie l'absence de contact avec la famille, de solidarités inter-générationnelles. Il y a de ce point de vue plus à perdre qu'à gagner : le soleil sans petits-enfants laisse le coeur froid : dur soleil méditerranéen contre doux hivers nordiques...
PS./ Dernier article sur le vieillissement : Après moi, le déluge.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire