Que pensent les artistes belges de la crise politique qui règne dans leur pays ? Lisez le dernier Télérama [n°3011 / Du 29 septembre au 5 octobre 2007] pour en savoir un peu plus... D'une seule voix, tous expriment leur colère ou leur désarroi : la division, c'est mal. Faut-il se contenter pour autant d'une telle unanimité, au prétexte qu'elle répond à une évidence admise par le plus grand nombre ? La Croix (le 28 septembre) donne la parole à l'écrivain Patrick Roegiers, qui se place à l'unisson. Il déplore que ses compatriotes ne « communie[nt] plus que dans le deuil (drame du Heysel, tueurs du Brabant wallon, décès du roi Baudoin, séisme de l'affaire Dutroux, disparition de la Sabena). » Avec une pointe de pessimisme, il assure que « l'inquiétude fait place à l'angoisse. Les francophones se satisfont de la Belgique en l'état et les Flamands rêvent de la détruire. »
Cent-dix jours après les dernières élections générales, la Belgique ne dispose ni d'un gouvernement, ni d'un premier ministre. En revanche, le vainqueur – relatif – Yves Leterme déplait au plus grand nombre des francophones. De son portrait par le correspondant du Monde, Jean-Pierre Stroobants, il ne ressort que des interrogations. Le dirigeant du Parti chrétien-démocrate flamand (CVP) qui depuis 2004 préside la région Flandres, est un homme sans relief, sans âge – un quadragénaire proche de cinquante ans –, et dépourvu des traits de caractères recherchés par les journalistes en manque d'inspiration. Issu d'un milieu modeste, il a fait carrière dans l'administration communautaire après des études de droit. Il donne l'impression d'avoir trouvé dans un radicalisme séparatiste l'occasion d'attirer l'attention sur lui. Qu'il pense réellement ce qu'il dit ou qu'il agisse par opportunisme – lors d'une récente manifestation politique, sa confusion entre les hymnes nationaux français et belges (Marseillaise et Brabançonne) – ne change rien à l'impact de son comportement en public... Jean-Pierre Stroobants affirme même que « 90 % des francophones se disent hostiles à son accession au poste de premier ministre fédéral. » L'élection d'Abraham Lincoln à la fin de 1860 constitua elle aussi en son temps aux Etats-Unis le casus belli dont rêvaient les extrémistes esclavagistes qui cherchaient à tous prix la sécession des Etats du Sud. Petites causes grands effets.
Pour en revenir au dossier de l'hebdomadaire français, aveuglement et confusion se mêlent dans les paragraphes de présentation. Dès les premières lignes on trouve un appel aux sentiments (sentimentalisme ?), et non à la raison pure : « Des Belges, tous ensemble (wallons comme flamands) nous aimons la culture forte en bouche, l'art émancipé, le goût du baroque et de la fête [...]. Alors, quand notre amie la Belgique a mal à la tête, l'Hexagone ne peut pas l'ignorer. » Je doute que l'on puisse résumer un pays à ses artistes contemporains ou à ses nuits arrosées. Quant à l'apostrophe finale, la situation présente me semble exactement contraire. Nul ne devrait cependant prendre à la légère ce qui se passe en Belgique, du fait de son voisinage avec l'Hexagone, mais aussi parce qu'à Bruxelles siègent plusieurs institutions européennes.
L'ignorance des Français touche d'abord à la réalité géographique de la Belgique, dont nos compatriotes comprennent – me semble-t-il – qu'il s'agit d'un petit Etat francophone avec lequel notre pays partage une longue frontière commune. Cette exclusion de la diversité belge en dit long sur le nationalisme de nombre de nos compatriotes, toujours prompts à imaginer le monde entier amoureux de la France. Mais concernant l'actualité belge la plus récente, les cent dix jours de vacance politique à Bruxelles, quels journaux hexagonaux consacrent leurs unes ou même des dossiers complets ? Les exceptions confirment la règle. Le Figaro consacre bien un article à la Belgique il y a dix jours : le journaliste relate une mise aux enchères fantaisiste de la Belgique sur eBay. L'impertinence atteint son comble, au Figaro.
Le deuxième argument ressemble à un chiffon rouge agité par le journaliste de Télérama. Mais depuis le temps que les cloches sonnent en Belgique, plus aucun Français ne croit à un incendie. Et puis si la faute vient des extrémistes de droite, de tous ces séparatistes haineux, la menace diminue. Le dernier argument couronne les précédents : critiquer la redistribution (forcément généreuse) entre les Flandres et la Wallonie DOIT susciter réprobation et inquiétude. Or la morale n'a pas sa place ici : la redistribution a-t-elle donné des résultats probants ? Dans un article précédent, j'ai évoqué la situation de Charleroi, le lent déclin des activités sidérurgiques ou affiliées... Tout cela date de l'après-guerre ; des lustres. Au bout de temps d'années de transfusion financière, les données socio-économiques décrivent une situation d'échec : « le PIB de la Flandre est deux fois et demi supérieur à celui de la Wallonie. Et son taux de chômage de 5 % seulement, contre 11,8 % en Wallonie. » [Chiffres Télérama]
Compte tenu des affaires qui émaillent la vie politique belge depuis de nombreuses années, il y a même fort à parier que les sommes d'argent brassées ont en outre désorienté de nombreux décideurs et intermédiaires, contribuant à pourrir le climat et favoriser des forces politiques nouvelles [voir ceci sur le parti socialiste wallon]. La redistribution devient alors la cause de l'effritement de la Belgique, de la remise en cause logique – au moins dans l'esprit – du fédéralisme.
Mais une autre façon d'envisager la question n'est-elle pas de l'annuler ? La Flandre triomphe économiquement parce que toutes les régions littorales depuis un demi-siècle bénéficient dans le monde de l'augmentation incomparable des échanges internationaux. Anvers – deuxième port européen et quatrième du monde (160 millions de tonnes en 2005 / sources) bénéficie tout particulièrement du boom mondial des matières premières (café, caoutchouc, etc.). A l'inverse, les régions plus en retrait, vivant de l'industrie lourde traversent partout les mêmes difficultés. Au-delà, une majorité des Belges vivent dans des métropoles, en situation de stagnation démographique, en dehors de la capitale dont la population a nettement augmenté dans les trente dernières années : Bruxelles arrive en tête avec 1,35 million d'habitants (contre 1,028 en 1978), Anvers compte 913.000 habitants (contre 927.000 en 1978), Liège 476.000 (contre 618.000), Gand 231.000 (contre 241.000) et Charleroi 201.000 (contre 450.000) [chiffres Atlas de Poche – Hachette (1982) + ici]
Dans cette portion d'Europe du Nord, la civilisation urbaine remonte au Moyen – Âge. Les cités ont longtemps animé la vie économique, concentrant le capital, lieux de réunions des grandes foires. On observe aujourd'hui la force du phénomène de métropolisation – attirance de la capitale – en même temps qu'un étalement des populations vivant dans les grandes agglomérations provinciales (exode urbain). Le vivre ensemble se concentre sur une petite portion du territoire d'un côté (Bruxelles), et se dilue de l'autre. En s'installant dans des quartiers homogènes au plan social, les Belges citadins n'ont ils pas involontairement accéléré la séparation des communautés linguistiques ? Le tracé d'une frontière (en l'occurrence est-ouest) a donc trahi l'histoire autant que la géographie. Bien plus, il laisse planer l'illusion terrible qu'une séparation à l'amiable peut être envisagée sereinement... Les mariages d'amour sont moins rares que les divorces de raison.
Cent-dix jours après les dernières élections générales, la Belgique ne dispose ni d'un gouvernement, ni d'un premier ministre. En revanche, le vainqueur – relatif – Yves Leterme déplait au plus grand nombre des francophones. De son portrait par le correspondant du Monde, Jean-Pierre Stroobants, il ne ressort que des interrogations. Le dirigeant du Parti chrétien-démocrate flamand (CVP) qui depuis 2004 préside la région Flandres, est un homme sans relief, sans âge – un quadragénaire proche de cinquante ans –, et dépourvu des traits de caractères recherchés par les journalistes en manque d'inspiration. Issu d'un milieu modeste, il a fait carrière dans l'administration communautaire après des études de droit. Il donne l'impression d'avoir trouvé dans un radicalisme séparatiste l'occasion d'attirer l'attention sur lui. Qu'il pense réellement ce qu'il dit ou qu'il agisse par opportunisme – lors d'une récente manifestation politique, sa confusion entre les hymnes nationaux français et belges (Marseillaise et Brabançonne) – ne change rien à l'impact de son comportement en public... Jean-Pierre Stroobants affirme même que « 90 % des francophones se disent hostiles à son accession au poste de premier ministre fédéral. » L'élection d'Abraham Lincoln à la fin de 1860 constitua elle aussi en son temps aux Etats-Unis le casus belli dont rêvaient les extrémistes esclavagistes qui cherchaient à tous prix la sécession des Etats du Sud. Petites causes grands effets.
Pour en revenir au dossier de l'hebdomadaire français, aveuglement et confusion se mêlent dans les paragraphes de présentation. Dès les premières lignes on trouve un appel aux sentiments (sentimentalisme ?), et non à la raison pure : « Des Belges, tous ensemble (wallons comme flamands) nous aimons la culture forte en bouche, l'art émancipé, le goût du baroque et de la fête [...]. Alors, quand notre amie la Belgique a mal à la tête, l'Hexagone ne peut pas l'ignorer. » Je doute que l'on puisse résumer un pays à ses artistes contemporains ou à ses nuits arrosées. Quant à l'apostrophe finale, la situation présente me semble exactement contraire. Nul ne devrait cependant prendre à la légère ce qui se passe en Belgique, du fait de son voisinage avec l'Hexagone, mais aussi parce qu'à Bruxelles siègent plusieurs institutions européennes.
L'ignorance des Français touche d'abord à la réalité géographique de la Belgique, dont nos compatriotes comprennent – me semble-t-il – qu'il s'agit d'un petit Etat francophone avec lequel notre pays partage une longue frontière commune. Cette exclusion de la diversité belge en dit long sur le nationalisme de nombre de nos compatriotes, toujours prompts à imaginer le monde entier amoureux de la France. Mais concernant l'actualité belge la plus récente, les cent dix jours de vacance politique à Bruxelles, quels journaux hexagonaux consacrent leurs unes ou même des dossiers complets ? Les exceptions confirment la règle. Le Figaro consacre bien un article à la Belgique il y a dix jours : le journaliste relate une mise aux enchères fantaisiste de la Belgique sur eBay. L'impertinence atteint son comble, au Figaro.
Le deuxième argument ressemble à un chiffon rouge agité par le journaliste de Télérama. Mais depuis le temps que les cloches sonnent en Belgique, plus aucun Français ne croit à un incendie. Et puis si la faute vient des extrémistes de droite, de tous ces séparatistes haineux, la menace diminue. Le dernier argument couronne les précédents : critiquer la redistribution (forcément généreuse) entre les Flandres et la Wallonie DOIT susciter réprobation et inquiétude. Or la morale n'a pas sa place ici : la redistribution a-t-elle donné des résultats probants ? Dans un article précédent, j'ai évoqué la situation de Charleroi, le lent déclin des activités sidérurgiques ou affiliées... Tout cela date de l'après-guerre ; des lustres. Au bout de temps d'années de transfusion financière, les données socio-économiques décrivent une situation d'échec : « le PIB de la Flandre est deux fois et demi supérieur à celui de la Wallonie. Et son taux de chômage de 5 % seulement, contre 11,8 % en Wallonie. » [Chiffres Télérama]
Compte tenu des affaires qui émaillent la vie politique belge depuis de nombreuses années, il y a même fort à parier que les sommes d'argent brassées ont en outre désorienté de nombreux décideurs et intermédiaires, contribuant à pourrir le climat et favoriser des forces politiques nouvelles [voir ceci sur le parti socialiste wallon]. La redistribution devient alors la cause de l'effritement de la Belgique, de la remise en cause logique – au moins dans l'esprit – du fédéralisme.
Mais une autre façon d'envisager la question n'est-elle pas de l'annuler ? La Flandre triomphe économiquement parce que toutes les régions littorales depuis un demi-siècle bénéficient dans le monde de l'augmentation incomparable des échanges internationaux. Anvers – deuxième port européen et quatrième du monde (160 millions de tonnes en 2005 / sources) bénéficie tout particulièrement du boom mondial des matières premières (café, caoutchouc, etc.). A l'inverse, les régions plus en retrait, vivant de l'industrie lourde traversent partout les mêmes difficultés. Au-delà, une majorité des Belges vivent dans des métropoles, en situation de stagnation démographique, en dehors de la capitale dont la population a nettement augmenté dans les trente dernières années : Bruxelles arrive en tête avec 1,35 million d'habitants (contre 1,028 en 1978), Anvers compte 913.000 habitants (contre 927.000 en 1978), Liège 476.000 (contre 618.000), Gand 231.000 (contre 241.000) et Charleroi 201.000 (contre 450.000) [chiffres Atlas de Poche – Hachette (1982) + ici]
Dans cette portion d'Europe du Nord, la civilisation urbaine remonte au Moyen – Âge. Les cités ont longtemps animé la vie économique, concentrant le capital, lieux de réunions des grandes foires. On observe aujourd'hui la force du phénomène de métropolisation – attirance de la capitale – en même temps qu'un étalement des populations vivant dans les grandes agglomérations provinciales (exode urbain). Le vivre ensemble se concentre sur une petite portion du territoire d'un côté (Bruxelles), et se dilue de l'autre. En s'installant dans des quartiers homogènes au plan social, les Belges citadins n'ont ils pas involontairement accéléré la séparation des communautés linguistiques ? Le tracé d'une frontière (en l'occurrence est-ouest) a donc trahi l'histoire autant que la géographie. Bien plus, il laisse planer l'illusion terrible qu'une séparation à l'amiable peut être envisagée sereinement... Les mariages d'amour sont moins rares que les divorces de raison.
PS./ Dernier papier sur la Belgique : Admirer la Sambre filer vers Namur.
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