vendredi 25 juin 2010

En Belgique, ne pas confondre ‘arène politique’ et ‘panier de crabes’ (Des futures réformes administratives de la région bruxelloise)

Dans quelle direction s'oriente la région bruxelloise, se demande son ministre – président ? Jean-Pierre Stroobants interroge un homme qui dévoile ses inquiétudes dans un contexte politique fédéral troublé. Charles Picqué évoque une éventuelle rupture entre communautés linguistiques en Belgique, mais reprend sans s'en rendre compte les arguments communautaristes qu’il abhorre. Ceux-ci ne conviennent pas. Et pourtant, les tensions entre populations belges ne relèvent pas du fantasme.
Bruxelles est « très majoritairement francophone » affirme notre ministre – président, sans toutefois expliquer comment on évalue les équilibres linguistiques. Evidemment, si l’on retient les limites administratives, on exclut tous ceux qui résident à l’extérieur, mais travaillent et font leurs courses à l’intérieur. Le pays flamand entoure une région bruxelloise complètement enclavée. Or, comme toutes les métropoles qui s’étalent de façon horizontale, cette limitation a perdu toute signification géographique ; l'aire urbaine se superpose plus qu'elle ne se confond avec la région – capitale.
Jean-Pierre Stroobants relève le paradoxe d’une région à la fois riche et démunie : « L’impôt de ceux qui viennent y travailler tous les jours est réimporté dans les autres régions. » Le résident (sous-entendu périurbain) paye des impôts directs qui échappent à la commune centrale : à elle des dépenses de capitale pour des ressources d’autant plus limitées que les foyers les plus aisés vivent hors de portée fiscale. A l’inverse, les communes périurbaines bénéficient d’une trésorerie inégalable, compte tenu des salaires moyens de la région bruxelloise, qui leur permet de disposer d’équipements modernes ou d’écoles bien dotées. Tout cela renforce l’attirance des périphéries dans un cycle ininterrompu, puisque rien n'empêche la dévitalisation financière de la commune bruxelloise. Le journaliste parle à propos de Bruxelles (du coût de ses infrastructures), des contraintes afférentes. Se pose par conséquent le problème d'une ressource fiscale inadaptée au statut d'une ville capitale.
Plus d'un Bruxellois sur cinq (21 %) n'a pas de travail, le taux de chômage atteignant 30 % pour les moins de 25 ans (chiffres du Monde). Ces proportions renseignent sur la population péricentrale, dans des quartiers manifestement non gentryfiés (réinvestis par des familles aisées). Le chômage augmente proportionnellement à la fréquence des sous-diplômés, ou par la présence de communautés étrangères. Ces immigrés rencontrent des difficultés linguistiques plus grandes que dans d'autres grandes agglomérations occidentales : nombre d'employeurs exigent – parce que la loi les y oblige – la maîtrise du français et du flamand. La politique linguistique éloigne dans le temps l'intégration ou l'assimilation de ces populations, au-delà de la première génération. Dans la partie occidentale de l'agglomération (quartiers de Schaerbeek, de Saint-Josse, de Molenbecht, d'Anderlecht ou de Saint-Gilles), la population subit les contraintes d'une ville ancienne (XIXème), avec un habitat de qualité moyenne – malgré une forte augmentation du nombre de propriétaires – et des infrastructures vieillissantes.
« Finalement, le commerce ethnique (magasins d'alimentation, restaurants, snacks, etc.) s'est fortement développé en tant que stratégie de survie. Ces entrepreneurs visent à échapper au chômage tout en tirant profit de la concentration spatiale de la demande spécifique de leurs compatriotes [...]. Dans cette mesure, il est un élément de démarginalisation dans le quartier cependant, la consolidation des quartiers ethniques va de pair avec leur marginalisation au niveau de la ville. D'une part, les chances d'emploi [...] s'affaiblissent dans les quartiers. Entre 1980 et 1991, la région de Bruxelles – Capitale a perdu 25.000 emplois industriels lesquels se sont déplacés vers la périphérie flamande (Halle – Vilvoorde). » [Kesteloot C., Peleman K., Roesems T. (1997) / Sources]. L'Etat fédéral n'a donc pas plus corrigé les déséquilibres démographiques qu'économiques.
« Les Flamands forment 71 % de la main d’œuvre » de la région – capitale insiste le journaliste du Monde : mais le périurbain installé en Flandres, parce que les prix dans le centre dépassent ses possibilités financières, n'est pas automatiquement flamand. Dans quelle catégorie faut-il en outre classer les couples mixtes (wallons – flamands), ou encore les non – Belges qui ont eux aussi choisi de résider en périphérie ?
Pendant ce temps, les hommes politiques belges ergotent, dissèquent dans des discussions byzantines le tracé de telle frontière, le bien fondé d'une loi imposant telle langue à tel endroit et interdisant telle autre. Les uns réclament des extensions, les autres le compartimentage du BHV (arrondissement de Bruxelles – Hal – Vilvoorde). Charles Picqué interrogé par Jean-Pierre Stroobants assimile même l'arène politique belge à un panier de crabes. Une majorité de politiciens ont bâti leur carrière sur le système fédéral belge et la séparation territoriale entre trois régions ; trois fois plus de chances de faire ce métier. Dans le cas de Bruxelles, le fédéralisme – en attendant un glissement confédéral – néglige la réalité du fonctionnement de l'aire urbaine. Dans cet espace global, les voies de communication se jouent de la répartition démographique de la population sur le territoire. Les lieux du pouvoir politique ne valent pas à cause de leur localisation, mais parce qu'ils agissent sur l'ensemble de la région, du pays. Peu importe enfin la langue pratiquée par celui qui achète et par celui qui vend, par l'étudiant qui vient étudier dans la capitale, par le touriste curieux de monuments Art Nouveau, par le croyant qui se rend dans la cathédrale, ou plus simplement par le Belge tentant d'apercevoir le roi des Belges.

PS./ Dernier article sur la Belgique : Les 'divorces de raison' sont plus rares que les mariages d'amour. A noter les émissions récentes de Travaux Publics sur la Belgique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire