jeudi 24 juin 2010

Guinée, Touré, Conté (démocratie et développement en Afrique)

Dans mon premier Etat du Monde acheté à l’occasion de mon entrée en fac, j’ai eu soudain envie de jeter un coup d’œil à l’entrée Guinée : « La vie politique en Guinée en 19[..] a été marquée par l’amorce d’un processus de démocratisation. Au pouvoir depuis avril 1984, le Comité militaire pour le redressement national (CMRN) a été dissous le 16 janvier 1991 et remplacé le lendemain par un Conseil transitoire du redressement national (CTRN). Présidé par le chef de l’Etat qui en nomme les 37 membres, le nouvel exécutif na pas mis fin à l’arbitrage des militaires, mais il en a diminué l’influence puisqu’il est composé pour moitié des civils. Il devrait rester en place pendant cinq ans, période à l’issue de laquelle l’armée retournerait définitivement dans ses casernes. Ce processus a été précédé par la promulgation d’une Loi fondamentale (Constitution) en décembre 19[..]. L’annonce de ces mesures n’a toutefois pas totalement dissipé un malaise social et politique persistant. L’agitation étudiante s’est poursuivie et l’université de Conakry s’est signalée par une grève de plus de quarante jours. Des tensions ont été sensibles au niveau de l’armée également. Le chef de l’Etat, Lansana Conté, a dû intervenir pour engager les militaires à ne pas se mêler de politique.

La situation économique a continué d’évoluer au gré de la réalisation du plan d’ajustement structurel, Contrairement aux souhaits du FMI, le déficit budgétaire pour 19[..] a été plus élevé que prévu : 91 millions de francs guinéens (69,6 millions prévus). Ces difficultés financières ont expliqué, pour une large part, les plaintes officielles concernant les salaires trop élevés accordés aux experts étrangers, notamment ceux en poste à la Compagnies de bauxite guinéenne et à a la Compagnie d’alumine de Guinée. D’autant que la conjoncture a gravement souffert de l’afflux, sur le territoire guinéen, de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés libériens fuyant la guerre civile dans leur pays.

Le pays a cependant continué de largement bénéficier de l’aide internationale. De nouveaux signaux ont été lancés en direction des investisseurs, privés, qu’ils soient étrangers ou nationaux. C’est ainsi que le gouvernement a supprimé en mai 19[..] l’agrément jusque-là nécessaire à la création de sociétés commerciales ou industrielles. De plus, la Banque mondiale, la Caisse centrale de coopération économique française (CCCE) et le ministère français de la Coopération ont mis en place un programme d’appui aux banques et au secteurs privé, programme doté d’un fonds de 50 millions de francs français et complété par diverses actions d’appui. En ce qui concerne l’aide publique, dans le prolongement des décisions annoncées par François Mitterrand au sommet de la francophonie de Dakar (mai 19..), la France a décidé d’annuler une partie de la dette guinéenne, soit près d’un milliard de francs français. De son côté, le Japon a consenti au rééchelonnement de la dette commerciale guinéenne. A noter enfin que l’AID (Association internationale pour le développement) a octroyé à la Guinée 57 millions de dollars pour l’aménagement des zones urbaines où vivent aujourd’hui 1,7 million de personnes, Conakry seule abritant six citadins sur dix. »

Parce qu’il semble presque intemporel, le texte qui suit met en lumière quelques traits persistants. On y trouve le respect quasi obséquieux du chef de l’Etat local, au sujet duquel on ajoute dans un encadré qu’il est aussi chef du gouvernement depuis le 5 avril 1984, par ailleurs autoproclamé. Dans le même registre, on lit la phrase « la France a décidé d’annuler une partie de la dette guinéenne » au lieu d’une autre plus correcte : « le gouvernement français a décidé d’annuler une partie de la dette contractée précédemment par le régime de Lansana Conté. »

Le texte donne en outre matière à méditer sur le tournant pris à l’époque par les dictateurs africains. Lansana Conté, avec d’autres, relâche son emprise en apparence : il se présente comme respectueux de la démocratie, quitte à laisser libre cours à l’agitation étudiante et aux rodomontades de quelques opposants sans poids politique. En retour, il obtient une relative clémence des médias occidentaux – ici français – et des subsides qui renforcent son pouvoir pour des années.

En 1992, pourquoi cacher plus longtemps la date, le PIB de la Guinée (2,37 milliards de $ / chiffre de 1989) équivalait à 0,023 % du PIB de la France (1.103 milliards de $ / 1990). En 2003, le rapport a été multiplié par dix, le PIB guinéen représentant 0,23 % (4 milliards de $) de celui de la France. La mortalité infantile est passée de 139,5 (1990) à 105,5 pour 1.000 (2004) et la croît naturel annuel de 2,9 à 2,2 %. L’espérance de vie des Guinéens s’établissait en 1990 à 43,5 ans ; elle atteint en 2004 53 ans pour les hommes et 54 ans pour les femmes. Un quart de la population vivait en ville (26 %) contre plus d’un tiers aujourd’hui (36 %)… Tous ces chiffres témoignent du caractère non fondé de la légende noire d’une Afrique bêtement présentée sous l’angle de ses pires travers : en dépit ou à côté des pouvoirs en place, l’Afrique de l’Ouest s’enrichit et la santé de ses habitants s’améliore visiblement.

On peut faire de nombreux reproches à Lansana Conté, et le journaliste sénégalais Mama Aly Konte – dans Sud Quotidien – ne s’en prive pas (voir Courrier International n°848 / p.28). En République populaire et révolutionnaire de Guinée – titre toujours officiel – le dictateur a toutefois largement tempéré l’étatisme de son prédécesseur Sékou Touré mort en 1984. Et l’armée guinéenne n’a officiellement pas pris partie pour les rébellions sierra – léonaise ou ivoirienne.

Il reste que l’économie guinéenne ne produit encore aucun miracle, surtout si l’on tient compte du potentiel du pays : les grandes vallées ouvertes à l’est ou au nord sur les pays sahéliens (Sénégal, Gambie et Niger), un sous-sol richement pourvu (dont la bauxite) et un domaine agricole quasiment sans équivalent dans cette partie du continent africain, grâce à la qualité générale de ses sols et à des précipitations saisonnières abondantes… Dès avant 1958 Sékou Touré en tirait l’idée qu’il pouvait sortir la Guinée de la sphère d’influence de la France. Il l’a seulement poussée dans l’ornière, quand Lansana Conté son successeur a suivi une voie plus sage. Même s’il s’assoit sur les libertés fondamentales.

PS./ Dernier papier sur l'Afrique : Mengistu et Mugabe, deux dictateurs bien faits pour s'entendre

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