jeudi 24 juin 2010

La négligence du facteur ‘distance’ / suite (de l’expédition en Crimée jusqu’au pb. du transport des chevaux)

Le 27 mars 1854 commence la guerre de Crimée. L’armée française n’est absolument pas prête ; il faut improviser. Une triple épidémie met en péril l’expédition dès le deuxième semestre de 1854 : choléra, typhus et scorbut. L’été continental se caractérise par ses chaleurs lourdes et ses précipitations orageuses. La médiocrité (en qualité et en quantité) de la nourriture, les eaux stagnantes et la promiscuité entre hommes et bêtes éclaircissent les rangs. Le choléra provient apparemment de Marseille, et aurait voyagé en même temps que les troupes embarquées sur les paquebots des messageries impériales (le général de Saint-Arnaud en meurt en octobre, remplacé par Canrobert).

Pêchant par optimisme, les autorités militaires tablent sur un dénouement rapide… Qui n’advient pas. Les blessés, en particulier par les boulets creux de l’artillerie russe, nécessitent dès le départ une prise en charge non prévue. « Il n'y eut pratiquement pas d'organisation de ces transports tout au moins jusqu'en janvier 1855 où 4 frégates furent équipées en navires hôpitaux et un marché fut conclu entre le Ministère de la guerre et la Compagnie des Messageries maritimes pour transporter les blessés et malades de Constantinople à Marseille. » (POIRIER) La guerre se déroule en trois phases, dont l’étalement empêche tout effet de surprise.

(I) Pendant près de six mois (jusqu’en sept.), les 50 000 coalisés contre les Russes (7.000 Turcs et 43.000 Franco – Anglais) débarquent dans la baie d’Eupatoria ; à peu de distance, le port de Sébastopol est la seule base navale russe de la mer Noire. 20 septembre, bataille de l’Alma. (II) S’ensuit le siège en lui-même (sept. 54 – mars 55), alors que commence l’automne (vêtements inappropriés). Les renforts parmi lesquels les Piémontais, comblent seulement les trous, alors que les Russes renforcent leur position. En avril, le général Pélissier prend le commandement. (III) L’assaut final implique la prise de tranchées, de la forteresse dite du Mamelon Vert (6-7 juin), et enfin du fort de Malakoff. Bilan : 340 jours de siège, 95.000 Français, 20.000 Anglais, 2.000 Piémontais et 110.000 Russes tués. [source].

Au cœur de l’hiver ukrainien, l’intendance et les vêtements ne suivent pas. Un quart de siècle plus tôt, en 1830 à Alger, il avait pourtant fallu assurer « le transport de 35 000 hommes, 4 000 chevaux, 70 000 tonnes de matériel, grâce à une flotte de 103 navires de guerre, appuyés par 572 petits bâtiments du commerce. » La guerre de Crimée qui s’étend jusqu’au 9 septembre 1856 a nécessité près de dix fois plus de moyens : « 309 000 hommes, 42 000 chevaux, 598 000 tonnes de matériel, des chiffres prodigieux pour l’époque. » [ZANCO (Jean-Philippe) : Une flotte de navires-écuries au 19ème siècle : le transport des chevaux par mer / Revue Historique des Armées / n°214 / 1999 / p.45.]

Concernant la question cruciale des chevaux, le sentiment d’impréparation prédomine. Le général d’Allonville écrit : « il n’y a pas d’analogie entre les traversées sur la côte d’Afrique où les chevaux sont exposés à l’air sur le pont pendant trois jours au plus, et ce qui se passe ici. Après une longue navigation (quelques unes ont duré 40 jours), les chevaux arrivent dans des conditions de faiblesse et de prostration excessives ». (Id.)

Certes, le gouvernement lance PAR LA SUITE un programme naval voté en 1857 : 17 sur 75 bateaux prévus sont des navires – écuries à hélice, capables de transporter chacun un peu plus de 200 chevaux et mulets. Il faut prendre en compte le mode de propulsion, l’augmentation des calibres de l’artillerie de marine (donc des blindages), trancher entre navires de guerre et navires de transport.

Au-delà des questions de réglementation (sur les quantités de foins, l’hygiène, les soins vétérinaires, ou la sécurité du bord), des débats sur la meilleure façon d’embarquer et débarquer des centaines d’animaux, la question principale me semble être la dimension donnée aux stalles. Ce qui pouvait convenir pour des chevaux arabes (65 cm) pour l’expédition d’Algérie, paraît inconcevable pour les chevaux de trait utilisés par la cavalerie lourde et pour le transport. Mais plus on améliore les dimensions des stalles, plus il faut de navires. En dépit des les précautions prises, les accidents ont continué. Lors de l’expédition du Mexique, une tempête dans le golfe du même nom en octobre 1862 provoque la mort de plus de 100 chevaux à bord du Jura.

Avec la guerre de 1870, puis la réduction (dans un premier temps) et la réorientation (dans un second temps) des budgets militaires, les navires – écuries disparaissent ; on désarme le dernier en 1878. Ce n’est pas la complication technique qui a eu raison du projet. Au total, les navires – écuries n’ont servi qu’une vingtaine d’années, essentiellement au cours de la deuxième moitié du Second Empire. Les corps expéditionnaires de la IIIème République s’en passent ensuite. Ils témoignent de la réticence des marins à accepter les opérations combinées, à concevoir puis à mettre en œuvre des unités navales subordonnées à l’action terrestre. C’est toujours vrai au début du XXIème siècle.

PS : Papier précédent : La négligence du facteur 'distance'.

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