Les Britanniques sont les initiateurs de ce projet d’expédition dans les Dardanelles, avec une place toute particulière au premier Lord de l’Amirauté, Winston Churchill. L’assurance de ce dernier et la volonté affichée de s’emparer de Constantinople n’était pourtant pas du goût de tous : « comment des navires avec les soutes vides, à peu près hors de combat, pourraient-ils imposer leurs volontés à la ville de Constantinople ? » [Amiral Jackson in DELAGE (E.) : La tragédie des Dardanelles. Paris – GRASSET (1931) / Cité par Yann Chollet (mémoire ESM 2003) ; sous la d° de Martin MOTTE)]. Les deux premières phases de la guerre - mouvement et bataille dans les tranchées - n'ont amené aucun des belligerants à une victoire rapide en 1914.
En janvier 1915, W. Churchill annonce à lord Kitchener son souhait de voir doubler cette opération déjà périlleuse par un débarquement dans le golfe d’Alexandrette : « Si nous sommes bloqués aux Dardanelles, nous pourrons présenter cette opération comme une simple démonstration pour couvrir la prise d’Alexandrette, Je crois que cet aspect est important du point de vue d’un Oriental. » [Public Record Office, The Dardanelles 1915, Selection of Cabinet Papers made for the King’s College London – Richmond, P.R.O., 1969 / id.]. Mille cinq cents kilomètres de Méditerranée séparent le détroit des Dardanelles du golfe d’Iskenderun (autrefois Alexandrette).
Pour le reste, les discussions se poursuivent entre Français et Anglais au premier semestre 1915, achoppent sur des problèmes de préséance (Qui commande ?) mais laissent en périphérie les questions de logistique, privilégiant les fruits hypothétiques et lointains d’une opération encore non engagée. Comme dans la fable de Perrette et le pot au lait, on brode sur Constantinople bientôt occupée, la réouverture du commerce avec la mer Noire, la Bulgarie endiguée, et l’Allemagne vaincue par son talon d’Achille…
90 navires, 22 000 hommes et 814 canons forment l’effectif et le matériel de départ de l’opération des Dardanelles lancée le 19 février. Immédiatement apparaît l’évidence : la méconnaissance intégrale des forces ennemies. A Londres, l’Amirauté découvre que l’artillerie turque avait été dotée de canons allemands récents. Le pilonnage par des navires de surface des positions ennemies dans la première moitié du mois de mars ne donne nullement satisfaction ! De cet échec provient la décision de lancer l’opération terrestre ; dans les plus mauvaises conditions.
Que connaît-on de la configuration du terrain ? Anecdote qui en dit long sur les connaissances manquantes, le père Dhorme – de l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem (fermée en 1914) – est convoqué pour reconnaître le site d’Eléonte, base de départ légendaire d’Alexandre le Grand, trois siècles avant notre ère [voir ici ] . Le débarquement des 120 000 hommes et du matériel – le général d’Amade commande le Corps Expéditionnaire d’Orient – se fait via l’île de Lemnos où « le manque de ressources de tous genres empêche de débarquer dans l’île et il paraît impossible de laisser trop longtemps à bord les hommes et surtout les chevaux. Enfin, la rade de Lemnos ne peut contenir la totalité des transports à bord desquels se trouvent les Corps expéditionnaires. » [SHAT, dossier 7 N 2170, correspondances diverses / Id.]. Une île de mer Egée mesurant un peu moins de 500 km² – la taille de l’agglomération parisienne – ne peut servir de base arrière pérenne ; les besoins des armées alliées excèdent ses ressources en produits agricoles et surtout en eau douce !
Mais il reste 70 kilomètres à parcourir entre l’île de Lemnos et la péninsule de Gallipoli : le double de la largeur du Pas-de-Calais qui sépare le continent de l’Angleterre, un détroit infranchissable pour les armées de Napoléon ou d’Hitler ! Le 25 avril commence le débarquement proprement dit. Le désastre ne se fait pas attendre, dont on trouvera ailleurs le récit. Le retrait intervient l’année suivante et quelques dizaines de milliers de morts plus tard (46.000 alliés dont bon nombre d’Australiens). Il s’achève le 8 janvier 1916. C’est la seule réussite de l’opération.
Complément bibliographique : BOURLET & INQUIMBERT .
PS.: Dernier papier sur le thème : La négligence du facteur 'distance'.
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