Qu’est-ce qu’une euro – région ? Ce néologisme date d’une quarantaine d’années. Il recouvre deux définitions interchangeables, en même temps région englobée dans un ensemble plus vaste (la Bretagne en France), et région en contradiction avec le découpage national des Etats européens actuels, séparée par une frontière internationale : le pays Basque franco – espagnol ou l’euro – région Meuse – Rhin , à cheval sur la Belgique, l’Allemagne rhénane et le sud des Pays-Bas. L’Union européenne reconnaît l’existence des euro – régions en les soutenant financièrement depuis une vingtaine d’années (INTERREG). Au nombre de 70, elles trouvent un relais dans une structure commune, à la fois soutien et lobby, l’Association des Régions Frontalières Européennes. Pour qui veut observer cliniquement la viabilité d’une euro – région, un article du dernier numéro de Courrier International donne matière à réfléchir [n°858 / Du 12 au 18 avril 2007 / p.23 / « Le Limbourg, jardin expérimental de l’Europe » / Tiré de NRC Handelsblad – Rotterdam / Hans Buddingh et Guido de Vries].
Les deux auteurs ne cachent pas leur parti – pris ; l’Etat néerlandais s’avère selon eux incapable de comprendre l’évolution du Limbourg, la province la plus méridionale du pays, de plus en plus intégrée dans son environnement euro – régional, et donc de moins en moins lié au reste des Pays-Bas. A les suivre, La Haye aurait décidé – en y renonçant finalement – la destruction du pont ferroviaire de Maastricht entre Belgique et Pays-Bas. Alors que les élus locaux recherchent des liaisons terrestres avec Liège dans le Limbourg belge, et Aix-la-Chapelle en Allemagne, “ Pour les chemins de fer néerlandais, ces liaisons n’étaient pas prioritaires ”. Les pouvoirs publics néerlandais qualifiés de paralysants (sic !) suspendent l’allocation de subventions à des entreprises devenues bi – nationales, et refusent toute souveraineté partagée au plan régional outrepassant les domaines de la sécurité, de l’enseignement ou de la culture. Hans Buddingh et Guido de Vries relèvent tout de même que La Haye finance à hauteur de 150 millions d’€ un projet de recherche en médecine moléculaire à l’université de Maastricht.
A l’inverse, et en reprenant toujours l’argumentaire des deux auteurs, le Limbourg voit son avenir se dessiner de l’autre côté des frontières, grâce à la Rhénanie allemande et au Limbourg belge : fabricant de cellules photovoltaïques (Solland Solar), industriel papetier néerlando – belge (Sappi), liaison ferroviaire régulière Maastricht – Liège, pour prendre les trois exemples de l’article. L’échelon national est dépassé, laissent entendre les deux auteurs, tandis que l’Union européenne fait rêver. “ Les personnes qui prennent des initiatives ont la bénédiction de Bruxelles. Les subventions pour la coopération territoriale européenne vont augmenter pour la période 2007 – 2013 : de 19 millions d’euros à 72 millions d’euros en ce qui concerne l’euro – région Meuse – Rhin. ” Conv€rsion à l'Europe. Mais Hans Buddingh et Guido de Vries passent sous silence l’histoire énergétique du Limbourg néerlandais.
Sur la moitié d’un département français (2 200 km²) vivent plus d’un million d’habitants, à proximité de territoires belges bien moins denses. A l'extrême sud des Pays-Bas surgissent du substrat sédimentaire les contreforts des Ardennes, dont le sous-sol charbonnier a été longtemps exploité. Au XIXème siècle, le Limbourg bien relié grâce à la Meuse et aux réseaux de canaux constitue donc une région riche, au coeur de l'Europe hercynienne et industrieuse. En 1901, l’Etat néerlandais prend cependant le contrôle de l’exploitation minière (staatsmijnen) pour faire pièce aux investisseurs étrangers propriétaires des concessions. Le gisement s’épuise toutefois et, après 1945, les coûts d’extraction ne peuvent bientôt plus rivaliser avec ceux du charbon d’importation. La découverte puis l’exploitation du gaz naturel de Groningue coïncide avec la baisse rapide de la production dans les années 1960. L’Etat néerlandais accompagne alors l’arrêt de l’exploitation minière, subventionne l’économie locale (système d’aide pour les entrepreneurs recrutant plus de vingt-cinq anciens mineurs), maintient les services publics et finance la construction de l’autoroute (est – ouest) entre Geleen et Aix-la-Chapelle, tronçon de l’axe Bruxelles – Cologne [voir aussi l’encyclopédie Universalis (Thesaurus)]. Dans les dernières années, le Limbourg est resté une des provinces les moins riches des Pays-Bas, mais la puissance publique se désengage ; alors, si l’euro – région apporte des euros, pourquoi les Néerlandais du Limbourg devraient-ils faire la fine bouche ? Hans Buddingh et Guido de Vries multiplient les allusions à une méfiance très partagée vis-à-vis de l’Etat central : était-ce néanmoins aussi vrai lors de la reconversion du bassin minier ?
Sur le fond, le Limbourg néerlandais subit évidemment un tracé de frontière hérité des guerres de la Révolution française et de l’Empire, mais aussi de l’indépendance de la Belgique. Celle-ci amène les Néerlandais à envahir le jeune Etat voisin, provoquant l’intervention des armées françaises. Le traité de 1839 scelle le destin du Limbourg désormais néerlandais. Au-delà de ces controverses, la vallée de la Meuse constitue depuis l’époque romaine un axe important de communications, en dépit des frontières fluctuantes. A Maastricht – gué sur la Meuse, et ville fondée au moment de la guerre des Gaules – débute le canal Albert qui, sur une centaine de kilomètres, relie le fleuve à l’Escaut plus à l’ouest, au niveau du port d’Anvers… [voir carte ] Si l’€uro – régionalisme apparaît bien comme une version (post-)moderne de la subvention publique, la situation de carrefour – un temps contrariée par des frontières politiques artificielles – puis renforcée par les liaisons terrestres se renforce naturellement au sein d’un espace européen ouvert.
PS./ Dernier article sur la Belgique : Belges, belgitude et belligérance.
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