vendredi 25 juin 2010

La pierre, elle, ne ment pas… (D’un rapport du Conseil Economique et Social : “Réunifier et réconcilier la ville”)

Le Conseil Economique et Social veut « réunifier et réconcilier la ville ». Il veut aller au-delà du simple constat. L'avant-propos ne s'appuie cependant sur aucune définition, ne donne ni statistiques sur la population, ni relevés cartographiques, et ne revient pas sur l'histoire de l'urbanisme français au XX ème siècle. Les rédacteurs restreignent dès le départ leur propos : « De la politique de la ville ». Le sous-titre impliquerait-il des remises en cause ? Ouvre t-on un nouveau procès de Riom pour juger les responsables de décennies d'échec paysager et de gaspillage des deniers publics ? Seules deux dates ponctuent le premier paragraphe – 1981 et 2005 avec son explosion urbaine – qui accusent les deux derniers présidents de la République.
Avant, bien avant. A l'époque des Trentes Glorieuses, tout allait bien, explique le Conseil Economique et Social. N'a t-on pas construit la plupart des grands ensembles si mal conçus et si dégradés vingt ou trente ans après leur construction ? Passons. La sortie de ce paradis originel a provoqué une nouvelle chute. Le pays s'est jeté dans un précipice : la construction européenne et la mondialisation, la désindustrialisation, le chômage de masse, la montée de l'individualisme et de l'assistanat, « la perpétuation des inégalités des chances à l'école malgré sa massification », le « développement d'un sentiment d'insécurité » : ni plus, ni moins. On ignore quels rapports ces maux entretiennent les uns avec les autres. De leurs caractères très contradictoires, les auteurs ne se préoccupent manifestement pas davantage. Il s'agit ici d'aboutir à une idée simple. Circulez, il n'y a rien à voir : la ville dans son ensemble n'est pas en cause, mais seulement les quartiers sensibles appelés aussi ZUS (Zones Urbaines Sensibles).
Isolons les symptômes du mal : chômeurs, immigrés, jeunes sous-diplômés, familles avec trop d'enfants ou sans pères, locataires. Au fond, les quartiers sont moins en cause que leurs habitants. Même s'il critique la fuite intellectuelle de tous ceux qui ont présidé dans le passé à la politique de la ville, le Conseil Economique et Social n'y échappe pas. Admettons (...) que toutes les difficultés qui caractérisent les quartiers sensibles résultent d'une malheureuse conjonction ou d'un manque de moyens financiers : la puissance publique modifiera-t-elle l'origine géographique des habitants – puisqu'elle semble en cause – ou les structures familiales ? Apportera-t-elle les qualifications manquantes ? Concernant l'emploi et l'habitat, l'Etat ou les collectivités territoriales ont certes beaucoup promis par le passé... Qu'en a t-il résulté ?
Les auteurs rappellent les trente décennies de politique urbaine en France, aux objectifs sans cesse élargis. « Par une approche de plus en plus multidimensionnelle, de plus en plus multipartenariale, de plus en plus contractuelle. On passe du Habitat vie sociale (HVS) (1977), au Développement social des quartiers (DSQ) (1983), au Développement social urbain (DSU) (1987), puis aux différentes formes de contrats de ville. Parallèlement à cette dynamique va émerger une nouvelle culture administrative. » Si l'on en juge par les événements du mois de décembre 2005 évoqués au départ, l'échec n'échappe à personne. Le Conseil Economique et Social s'en tient pourtant à un prudent euphémisme. En évoquant un bilan contrasté, il tente de faire oublier que de multiples erreurs cumulées sur trois décennies par des gens a priori intelligents et compétents devraient surtout susciter une critique radicale : faut-il continuer à élaborer des nouveaux plans ? Les plaisants conseillers veulent évidemment vanter leurs propres mérites et l'utilité de leurs lumières.
Le rapport se partage plus globalement en trois thèmes. Dans le premier chapitre, les auteurs accordent leur satisfecit à l'infléchissement de 2003. La création de l'Agence Nationale de la Rénovation Urbaine en serait la cause. Qu'est-ce que la rénovation, si ce n'est la double opération de destruction et de reconstruction d'un immeuble, d'un pâté de maisons, ou plus largement d'un quartier ? Sous entendu dans les quartiers difficiles, l'Etat finance la mise à plat de ce qu'il avait financé avant-hier, à l'époque des Trente Glorieuses. Pourquoi ce qui a échoué réussirait mieux à l'avenir ? Il faut croire qu'en décembre 2005, beaucoup ne partageaient pas les appréciations du Conseil Economique et Social sur la réalité du tournant de la politique de la ville...
Dans le dernier chapitre consacré à la bonne gouvernance les auteurs discourent sur un thème bien connu : une myriade d'organismes contradictoires travaillent sans concertation, mais il ne faut pas revenir sur la décentralisation. La décentralisation, c'est bien... C'est encore mieux lorsque les préfets jouent les chefs d'orchestre au milieu d'une cacophonie d'instruments. A l'heure des recommandations, le Conseil Economique et Social plaide courageusement pour « Des changements et des orientations dans une continuité » et appelle de ses voeux « une réforme consistante de la rationalisation, de simplification, de clarification sans bouleverser cependant les institutions de manière à ne pas trop perturber la mise en oeuvre de ce qui a été entrepris. »
Le chapitre central (Pour une transformation de la ville par l'amélioration de la vie quotidienne des habitants), part d'un malaise révélé par les sondages. Dans les quartiers sensibles, les habitants disent davantage qu'ailleurs souffrir de la laideur du bâti, du manque d'emplois, d'établissements scolaires à la dérive. J'arrête là l'échantillonnage, mais il ne surprendra personne. Les auteurs expliquent ensuite en substance que les ZEP (Zones d'Education Prioritaire) vont dans le bon sens, mais qu'il faut dépenser plus d'argent (pour les structures, les enseignants, etc.), diminuer encore le nombre d'élèves par classe, et ouvrir à tous les filières d'excellence : les sections européennes et les classes préparatoires... On lit les mêmes voeux pieux lorsque le rapport passe aux thèmes suivants, sur la famille, le sport, l'insécurité, ou l'emploi des femmes.
Le Conseil aimerait que l'on réunifie durablement la ville. Il retombe dans ses incantations précédentes : que l'on se rassure, il n'y a pas assez de logements (quid des millions de mètres – carrés vides ?), et les prix atteignent des niveaux insoutenables, mais l'Etat agit. Rappelons ici au contraire que la pénurie est artificielle (les bureaux y compris). Les gouvernements successifs ont tout à la fois corseté l'offre de logements et dopé la demande, qu'elles fussent monétaire (taux d'intérêts), fiscale (défiscalisations multiples, prises en charge des travaux chez les particuliers, etc...), patrimoniale (fossilisation des communes – centres d'agglomération), ou qu'elles concernassent les infrastructures et les transports. Le contexte financier national et international mais aussi la croissance rapide du nombre des ménages ont évidemment fortement influencé la hausse des prix. Divorces et séparations font naître en retour un besoin de nouveaux logements.
Dans les grandes villes françaises, les prix du mètre – carré sont les plus élevés dans les appartements compris entre 50 et 100 m². T3 et T4 dominent outrageusement le marché. Les logements les plus grands semblent dans le même temps avoir disparu. 200 m² ne valent pas l'équivalent de deux fois 100 m², puissante incitation pour un apprenti investisseur porté sur la subdivision d'espaces ! Paris constitue presque une exception. Les prix pour des appartements de 50 à 100 m² varient de 215.000 (20ème) à 810.000 (16ème) euros. De 100 à 150 m², les prix s'échelonnent de 420.000 (19ème) à 1.060.000 euros (16ème). A Rennes, les fourchettes vont de 92.000 à 238.000, puis de 168.000 à 299.000 euros. Dans la première catégorie à Rennes, la plate-forme Aliceadsl - immobilier annonce plus de 200 annonces, contre 55 dans la seconde. Le niveau des prix ne reflète donc même pas la rareté éventuelle des biens considérés. Dans la capitale, la même plate-forme annonce dans les deux catégories des centaines d'appartements à vendre... [source].
Pour en revenir une dernière fois au rapport du Conseil Economique et Social, seules les rénovations – reconstructions ne relèvent pas d'une politique de traitement social à plusieurs reprises décrite par les auteurs comme inefficace. Mais ils ne disent mot sur les liens entre les rénovations et le programme annoncé : en quoi permettent-elles de réunifier et de réconcilier la ville ? Ne faut-il pas pour cela revenir sur l'étalement urbain, favoriser une densification seule garante d'un mélange minimal des couches sociales ? Quand laissera t-on le marché réguler l'immobilier par les prix ? Peut-être faudra t-il pour cela arrêter de marteler que la pierre, elle, ne ment pas...




PS./ Dernier papier de géographie urbaine : Les étudiants, à la fonderie...

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