Cet avant – titre mérite toute notre attention : « le scénario dérangeant d’un expert américain. » De quoi va-t-on parler ? « Et si la Chine ne devenait jamais une démocratie ? » le sous-titre donne de l’épaisseur au suspense : « Contrairement à ce que soutiennent les dirigeants américains, l’empire du Milieu ne se démocratisera pas forcément sous l’effet de l’ouverture économique. Et la nouvelle classe moyenne chinoise pourrait avoir intérêt à voir perdurer un régime autoritaire. » Existe-t-il un plaisir plus poussé que celui procuré par lecture d’un expert ? Et bien, lorsqu’un expert démonte le discours d’un autre expert ; lui, il vous embrouille avec ses sources éventées, mais moi je vais vous raconter ce qui va vraiment se passer en Chine, car je connais plein de gens influents !
En l’occurrence, il s’agit d’un article d’Asia Times Online repris par l’avant-dernier Courrier International (n°860, p.48) dans lequel Benjamin A. Shobert – présenté comme « spécialiste des relations sino-américaines, [qui] dirige une société de conseil qui aide les entreprises asiatiques à s’implanter sur le marché nord-américain [note de C.I.] – démonte l’argumentaire de James Maan. Ce dernier bénéficie de la mansuétude de son accusateur en mauvaise prévision, qui lui consacre l’incipit de son article (pour mieux l'éreinter par la suite) : « Spécialiste de longue date des relations sino-américaines, James Maan vient de publier un nouveau livre, The China Fantasy : How Our Leaders Explain Away Chinese Repression. »
La charge commence quelques lignes plus tard, par cette phrase qui rate son effet. De l’accusé Maan, B.A. Shobert précise en effet qu’il laisse ouvertes les questions généralement posées sur la Chine. Je persiste personnellement à parer de tous les vices ceux qui pataugent dans l’excès contraire en s’en vantant, affirmateurs de tous poils et façonneurs de réponses toutes faites. Le livre de Maan, revenons-y, s’organise autour de trois scénarii sur l’évolution de la Chine communiste – toujours selon B.A. Shobert – mais discrédite les deux plus excessifs, l’un où rien ne se passe, l’autre où tout éclate. Du premier, Maan note qu’il a séduit les présidents américains depuis Richard Nixon et qu’il flatte les hommes d’affaires occidentaux, aveuglés par leur séjour à Shangai ou dans une grande métropole de l’Est ; tous ceux qui se persuadent que toute la Chine est rentrée dans un vaste mouvement de modernisation, scénario séduisant, car lourd de promesses.
Du second scénario, le plus sombre des trois, il faut retenir que Maan rechigne à faire le parallèle entre la Chine du début du XXIème siècle et les pays asiatiques émergents d’hier (le Japon) ou d’aujourd’hui (la Corée du Sud). Il lui semble manifestement qu’il y a une assimilation abusive : pas de démocratie, une masse insatisfaite de paysans pauvres, des citadins en phase avec la modernisation présente et redoutant un retour en arrière. Mais l’auteur Maan ne cache pas au passage son désaccord avec les mauvais augures qui présagent un long déchirement entre factions en Chine continentale. Il s’appuie sur l’histoire passée, mais son argument provoque le doute : « le scénario d’un éclatement de la Chine va à l’encontre d’une longue tradition. » Et alors ?
« Le dernier scénario de Maan est de toute évidence celui qu’il privilégie. ‘Ce troisième scénario ne signifie pas que, dans un quart de siècle, la Chine sera dirigée par le même Parti communiste que celui qui est au pouvoir aujourd’hui… Mais d’une façon ou d’une autre, les fondements du système actuel resteront intacts’ » Si tout change, mais que rien ne change, il y a de quoi rester sur sa faim. B.A. Shobert peste contre cette façon de ne rien trancher ; mi-chou, mi-chèvre. En n'écartant aucune hypothèse, Maan se tire pourtant honorablement de cet exercice que je qualifierai de la boule de cristal, même si son accusateur peine à le reconnaître explicitement. B.A. Shobert se contente finalement d'une remise en cause globale. Celui qu’il critique s’intéresse moins à l’avenir qu’à la politique immédiate, assène-t-il : « son but est d’obliger les Américains à s’interroger sur leur politique et à se demander s’ils s’estimeront satisfaits de l’issue que lui juge la plus probable. » Je trouve cet objectif digne d'intérêt... Au-delà des Américains ici en ligne de mire, car tous les Occidentaux se privent d’une réflexion sur ce thème. Le regretteront-ils un jour ? Tout un chacun espère en effet que la rentrée de la Chine dans les échanges internationaux provoquera des retombées positives sur la population chinoise (lesquelles, et sous quelle forme ?) et que la croissance du PIB enregistrée année après année aboutira au même résultat.
Il n’empêche qu’en 1990, en 1995, en 2000 ou en 2007, les consommateurs occidentaux participent au fonctionnement de l'économie chinoise, à la survie d'un régime totalitaire. C’est une compromission, lâchons le mot, qui ne connaît pas de précédent dans l’histoire de l’affrontement Est – Ouest. L’U.R.S.S. de 1991 importait des matières premières agricoles et quelques biens manufacturés, exportait des hydrocarbures, des musiciens et des dissidents. Mais si bien peu d’Occidentaux ont œuvré pour son effondrement, peu nombreux furent ceux qui s’enrichirent en commerçant avec les Soviétiques. 1991, année de la dislocation de l’U.R.S.S. ne constitue pas un événement marquant en Occident. Que l’on songe en revanche aux dégâts indirects causés par la collaboration militaire forcée entre Occidentaux et Soviétiques, unis de 1941 à 1945 contre l’Allemagne nazie : interrogeons-nous sur l’opinion des habitants d’Europe centrale ou orientale au sujet d’un Occident qui les abandonne à l’Armée rouge à l’issue de la chute de Berlin. Plus de soixante ans après, les rancoeurs passées continuent d’empoisonner les relations diplomatiques et commerciales à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union européenne.
Craignons que l’année 20xx (?) ne fasse vaciller les économies occidentales. Que la banque centrale à Pékin cesse d’acheter de la dette américaine, ou que les produits manufacturés chinois, dans le textile, la chaussure, les articles de sport, l’outillage du dimanche, le jouet en plastique, la micro-informatique bas de gamme ou encore le petit électroménager, que ces produits ne parviennent plus jusqu’aux supermarchés occidentaux : alors l’élévation continue du pouvoir d’achat des ménages européens et nord-américains au cours des deux dernières décennies appartiendra à un passé révolu. Mais craignons plus encore que l’effondrement du communisme chinois laisse un goût amer, quel qu'en soit le moment. Oublions les bénéficiaires du compromis intéressé avec les autorités de la Chine communiste qui regretteront certes les richesses évanouies. Il y a fort à parier que les intellectuels occidentaux pleureront devant le spectacle d'une nouvelle Chine – divisée ou réunie peu importe – mais très probablement hostile à l’Occident compromis, à l’Occident sacrificateur de ses propres idéaux humanistes et démocratiques…
PS./ Dernier papier sur la Chine : Les Trois Gorges, profondes désillusions.
En l’occurrence, il s’agit d’un article d’Asia Times Online repris par l’avant-dernier Courrier International (n°860, p.48) dans lequel Benjamin A. Shobert – présenté comme « spécialiste des relations sino-américaines, [qui] dirige une société de conseil qui aide les entreprises asiatiques à s’implanter sur le marché nord-américain [note de C.I.] – démonte l’argumentaire de James Maan. Ce dernier bénéficie de la mansuétude de son accusateur en mauvaise prévision, qui lui consacre l’incipit de son article (pour mieux l'éreinter par la suite) : « Spécialiste de longue date des relations sino-américaines, James Maan vient de publier un nouveau livre, The China Fantasy : How Our Leaders Explain Away Chinese Repression. »
La charge commence quelques lignes plus tard, par cette phrase qui rate son effet. De l’accusé Maan, B.A. Shobert précise en effet qu’il laisse ouvertes les questions généralement posées sur la Chine. Je persiste personnellement à parer de tous les vices ceux qui pataugent dans l’excès contraire en s’en vantant, affirmateurs de tous poils et façonneurs de réponses toutes faites. Le livre de Maan, revenons-y, s’organise autour de trois scénarii sur l’évolution de la Chine communiste – toujours selon B.A. Shobert – mais discrédite les deux plus excessifs, l’un où rien ne se passe, l’autre où tout éclate. Du premier, Maan note qu’il a séduit les présidents américains depuis Richard Nixon et qu’il flatte les hommes d’affaires occidentaux, aveuglés par leur séjour à Shangai ou dans une grande métropole de l’Est ; tous ceux qui se persuadent que toute la Chine est rentrée dans un vaste mouvement de modernisation, scénario séduisant, car lourd de promesses.
Du second scénario, le plus sombre des trois, il faut retenir que Maan rechigne à faire le parallèle entre la Chine du début du XXIème siècle et les pays asiatiques émergents d’hier (le Japon) ou d’aujourd’hui (la Corée du Sud). Il lui semble manifestement qu’il y a une assimilation abusive : pas de démocratie, une masse insatisfaite de paysans pauvres, des citadins en phase avec la modernisation présente et redoutant un retour en arrière. Mais l’auteur Maan ne cache pas au passage son désaccord avec les mauvais augures qui présagent un long déchirement entre factions en Chine continentale. Il s’appuie sur l’histoire passée, mais son argument provoque le doute : « le scénario d’un éclatement de la Chine va à l’encontre d’une longue tradition. » Et alors ?
« Le dernier scénario de Maan est de toute évidence celui qu’il privilégie. ‘Ce troisième scénario ne signifie pas que, dans un quart de siècle, la Chine sera dirigée par le même Parti communiste que celui qui est au pouvoir aujourd’hui… Mais d’une façon ou d’une autre, les fondements du système actuel resteront intacts’ » Si tout change, mais que rien ne change, il y a de quoi rester sur sa faim. B.A. Shobert peste contre cette façon de ne rien trancher ; mi-chou, mi-chèvre. En n'écartant aucune hypothèse, Maan se tire pourtant honorablement de cet exercice que je qualifierai de la boule de cristal, même si son accusateur peine à le reconnaître explicitement. B.A. Shobert se contente finalement d'une remise en cause globale. Celui qu’il critique s’intéresse moins à l’avenir qu’à la politique immédiate, assène-t-il : « son but est d’obliger les Américains à s’interroger sur leur politique et à se demander s’ils s’estimeront satisfaits de l’issue que lui juge la plus probable. » Je trouve cet objectif digne d'intérêt... Au-delà des Américains ici en ligne de mire, car tous les Occidentaux se privent d’une réflexion sur ce thème. Le regretteront-ils un jour ? Tout un chacun espère en effet que la rentrée de la Chine dans les échanges internationaux provoquera des retombées positives sur la population chinoise (lesquelles, et sous quelle forme ?) et que la croissance du PIB enregistrée année après année aboutira au même résultat.
Il n’empêche qu’en 1990, en 1995, en 2000 ou en 2007, les consommateurs occidentaux participent au fonctionnement de l'économie chinoise, à la survie d'un régime totalitaire. C’est une compromission, lâchons le mot, qui ne connaît pas de précédent dans l’histoire de l’affrontement Est – Ouest. L’U.R.S.S. de 1991 importait des matières premières agricoles et quelques biens manufacturés, exportait des hydrocarbures, des musiciens et des dissidents. Mais si bien peu d’Occidentaux ont œuvré pour son effondrement, peu nombreux furent ceux qui s’enrichirent en commerçant avec les Soviétiques. 1991, année de la dislocation de l’U.R.S.S. ne constitue pas un événement marquant en Occident. Que l’on songe en revanche aux dégâts indirects causés par la collaboration militaire forcée entre Occidentaux et Soviétiques, unis de 1941 à 1945 contre l’Allemagne nazie : interrogeons-nous sur l’opinion des habitants d’Europe centrale ou orientale au sujet d’un Occident qui les abandonne à l’Armée rouge à l’issue de la chute de Berlin. Plus de soixante ans après, les rancoeurs passées continuent d’empoisonner les relations diplomatiques et commerciales à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union européenne.
Craignons que l’année 20xx (?) ne fasse vaciller les économies occidentales. Que la banque centrale à Pékin cesse d’acheter de la dette américaine, ou que les produits manufacturés chinois, dans le textile, la chaussure, les articles de sport, l’outillage du dimanche, le jouet en plastique, la micro-informatique bas de gamme ou encore le petit électroménager, que ces produits ne parviennent plus jusqu’aux supermarchés occidentaux : alors l’élévation continue du pouvoir d’achat des ménages européens et nord-américains au cours des deux dernières décennies appartiendra à un passé révolu. Mais craignons plus encore que l’effondrement du communisme chinois laisse un goût amer, quel qu'en soit le moment. Oublions les bénéficiaires du compromis intéressé avec les autorités de la Chine communiste qui regretteront certes les richesses évanouies. Il y a fort à parier que les intellectuels occidentaux pleureront devant le spectacle d'une nouvelle Chine – divisée ou réunie peu importe – mais très probablement hostile à l’Occident compromis, à l’Occident sacrificateur de ses propres idéaux humanistes et démocratiques…
PS./ Dernier papier sur la Chine : Les Trois Gorges, profondes désillusions.
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