jeudi 24 juin 2010

Ne pas confondre Chivas et Chavez. (Echos laids d’Ecosse - SUITE / Du national - régionalisme en Europe)

« Ce n’est pas l’affirmation d’une nouvelle identité écossaise qui représente une menace pour l’Union. C’est le déclin continu en Ecosse, du sentiment d’identité britannique, la lente déliquescence du consensus établi sur ce que signifie réellement être britannique. » J’extrais cette phrase du troisième paragraphe d’un long article intitulé Le petit frère veut s’émanciper, qui fait le point sur l’équilibre des forces politiques régionales à la veille d’un scrutin important dans le royaume d’Ecosse ; les résultats parviennent juste en France, et laissent entendre qu’à la suite du recul des travaillistes, le parti indépendantiste SNP [Parti National Ecossais] emporte la majorité des voix. [New Statesman (Londres), cité par Courrier International n°860 / Du 26 avril au 2 mai 2007 / P.16] Cette première phrase servira de prologue pour un nouveau papier sur le national – régionalisme en Europe, et sur l’Ecosse en particulier.
L’auteur, Allan Little, part de l’idée que le processus en cours en Ecosse ressemble moins à la construction d’un édifice (ici, une Ecosse indépendante), qu’à la destruction de l’immeuble britannique, partagé avec les Gallois et les Anglais. Les Etats séculaires constituant l’Union européenne traversent une mauvaise passe. Des forces politiques d’un nouveau genre remettent en cause leur légitimité ; pour donner corps à leurs revendications (régionalistes, autonomistes, voire indépendantistes), ils présentent les Etats – nations européens comme ravagés par une crise majeure. A l’orée de cette période charnière, ces Etats du passé entreraient dans une sorte de sénescence qui se terminerait par la recomposition du paysage géopolitique européen. Les nationaux – régionalistes s’en réjouissent, sentiment que je ne partage pas. Allan Little avance l’idée judicieuse selon laquelle, chez les Ecossais, le sentiment d’identité nationale se perd. C’est à mon sens, sans exception de lieux, une évolution touchant l’ensemble des Européens, qui dépasse le seul cas des Britanniques.
Allan Little n’en disconvient pas au fond, puisqu’il explique un peu plus loin qu’il a été « vivement surpris du peu de place qu’occupe cette date [1707, proclamation de l’Acte d’Union des couronnes anglaise et écossaise] dans la conscience collective des Anglais. Existe-t-il un autre peuple en Europe qui ne connaît pas la date de la création de son pays ? » Jérémiade ne vaut pas démonstration. Et pour reprendre le mauvais pli d’une personnification indue, bien peu de pays peuvent se targuer d’un rapport dépassionné à l’égard de leur passé, sans discussions de leurs origines historiques. En France même, pays considéré comme LE modèle d’enracinement, du temps long, de l’homogénéité territoriale, se posent quand même des questions (sur la Corse, récemment) ; certains intellectuels français estiment que 1789 marque un commencement intégral quand d’autres considèrent au contraire que cette même année constitue une fin irrémédiable. Et puis ?
L’auteur apporte assez vite une deuxième idée à propos de l’Ecosse, selon laquelle le pétrole a joué un rôle de déclencheur dans les années 1970. Avant, le royaume vivait sous la tutelle anglaise ; après, Londres aurait chipé son pétrole. A l’occasion des élections générales de 1974, Allan Little s’en souvient encore, « dans tous les lieux publics était placardé le slogan ‘Ce pétrole est celui de l’Ecosse’ » Reprendre sans l’amender cette affirmation me gêne un peu. Elle ne signifie rien, même si l’auteur n’en souffle mot. Les puits d’exploitation off shore se situent en effet en pleine mer, très au large des côtes écossaises, à une centaine de kilomètres en moyenne. A ce titre, Edimbourg pourrait aussi bien faire valoir ses droits sur l’Ulster [voir carte] : le canal du Nord séparant l’Ecosse de l’Irlande a une largeur minimale de cinquante kilomètres. Ainsi, que l’on définisse autrement les limites des eaux territoriales en deçà des deux cents miles marins, et le pétrole tombera dans une escarcelle commune : celles des eaux internationales. Géographiquement, ce pétrole est celui de la mer du Nord, de son soubassement géologique.
Imaginons une indépendance, ou en tout cas une large autonomie du royaume : je ne serais pas étonné si, en cas de contestation avec les Norvégiens sur le partage des royalties ou sur l’attribution de tel ou tel gisement, les autorités écossaises ne se tournent pas finalement vers Londres pour quémander un soutien et peser davantage dans une négociation tendue avec les responsables politiques scandinaves ; indépendantisme à géométrie variable du jeune adulte qui loge en chambre étudiante mais qui retourne le week-end chez ses parents pour déposer son linge sale et récupérer des vêtements repassés. Un autre écueil se présente. En mer du Nord, les gisements d’hydrocarbures les plus méridionaux s’épuisent – les plus proches de l’Ecosse – et ceux qui laissent espérer des réserves plus importantes sont beaucoup plus au nord, toujours plus loin de la Grande-Bretagne, en limite de plateau continental (c’est-à-dire à des profondeurs excédant deux cents mètres), au large de l’archipel des Shetland. Pourquoi les habitants de cet archipel, lui-même à environ deux cents kilomètres au nord de l’Ecosse ne détourneraient-ils pas l’exigence actuelle de dévolution à leur avantage ? Cette deuxième dévolution déclencherait sans nul doute l’hostilité des Ecossais de Grande-Bretagne, qui n’y voient pour l’heure qu’une source exclusive de richesses pour le royaume.
Allan Little use également d’un autre argument, celui très classique de l’apaisement. Il rassure ses lecteurs sur ses interlocuteurs du SNP. Rassurez-vous, nous dit-il en substance, les premiers indépendantistes se moquaient du monde, avec leurs slogans extrémistes. Désormais, personne n’a plus rien à craindre, ils ont mis de l’eau dans leur vin. Mais les a-t-on jamais présentés (et se sont-ils eux-mêmes présentés) comme des gens dangereux, par leurs prises de position radicale ? Pourquoi faudrait-il prendre pour argent comptant cette promesse plus ou moins formulée, mais non argumentée ? Si les indépendantistes écossais du SNP ont « purgé [leur] sentiment anti-anglais », que proposent-ils en remplacement ? L’habileté manœuvrière de communicants politiques ne dissimule-t-elle pas un projet inchangé, et par conséquent vain ?
Car je terminerai par là, les méfaits des rois d’Angleterre ne se comptent pas siècle après siècle ; ils n'ont d'égal que l'invariable incapacité des rois de France à soutenir efficacement leurs alliés écossais dans leur lutte contre les Anglais ! Mais toute cette histoire remonte à plusieurs siècles et tombe sous le coup de la prescription. Depuis 1707, la Grande-Bretagne n’a connu qu’une histoire commune, difficile à démêler. Allan Little rappelle que les Ecossais ont tiré prospérité de l’Empire britannique (fortune acquise par Glasgow dans le sucre et le tabac, aciéries et chantiers navals de la Clyde) et profit de l’Etat – providence (NHS instauré dans l’immédiat après-guerre). Pour l’auteur, la révolution thatchérienne a constitué un tournant, par le désengagement de l’Etat. Si son hypothèse se vérifie, la conclusion devrait terrifier. Une majorité d’Ecossais attendraient d’un nouvel Etat centralisé à Edimbourg aides et subventions que l’ancien Etat britannique a soudain cessé de dilapider. « Chaque année, l’Ecosse dépense 11 milliards de livres [16 milliards d’euros] de plus qu’elle ne collecte en impôts. » Avec pour seule source de financement les bénéfices tirés de l’exploitation pétrolière, certains Ecossais s’imaginent peut-être au Venezuela ; il ne faut pas confondre Chivas et Chavez !
PS./ Dernier papier sur l'Ecosse : Echos laids d'Ecosse. Dernier papier sur le national-régionalisme : €uro-régionnalisme au Limbourg néerlandais.

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