samedi 26 juin 2010

La douloureuse au Nord et la faucheuse au Sud. (Quelques enseignements tirés du rapport ‘Sigma - 2007′ / Réassurance ‘Swiss Re’)

Le réassureur suisse SwissRe mettait récemment en ligne un rapport intitulé Sigma : catastrophes humaines et techniques en 2007. On y trouve davantage qu'un simple constat sur la montée des périls à l'échelle du globe. Les chercheurs d'apocalypse y piocheront bien entendu un certain nombre d'arguments. Relier changements climatiques et multiplication des catastrophes naturelles ne suffit pourtant pas, et la démonstration de Sigma tourne court sur ce point. Les auteurs montent en épingle une cause parmi d'autres, pour sacrifier à la mode du moment. Il n'en demeure pas moins que ce défaut ne nuit pas à l'ensemble. L'intérêt du rapport Sigma se situe à mon sens à un autre niveau. Des tableaux exhaustifs recensent par catégories les coûts et pertes, complétés par une analyse rapide à l'échelle du globe. L'ensemble donne incontestablement à réfléchir sur l'état du monde.
En signalant dès les premières lignes le séisme du 15 août dernier au Pérou [1], les auteurs rappellent le caractère intemporel, imprévisible et inéluctable des catastrophes naturelles. La cordillère andine résulte en effet de la subduction de la plaque Sud-Amérique sur la plaque Nazca [voir CNRS + ceci]. Du Chili au Venezuela, des millions d'Andins vivent avec le risque tectonique, qui inclut aussi les éruptions volcaniques et les coulées de boues. Celle du Nevado del Ruiz en novembre 1985 reste dans les mémoires. Même à proximité de l'équateur, les lignes de crête dépassent couramment 4.000 mètres d'altitude. Alors que l'on observe 25 °C au niveau de la mer, les températures à cette altitude – refroidissement moyen évalué à six degrés par tranche de mille mètres – s'approchent du zéro degré centigrade. Une éruption déclenche immédiatement une fonte des neiges qui alourdit généralement les bilans. Les Andes présentent cette caractéristique sur une surface sans équivalent dans la zone inter-tropicale : en Afrique orientale, sur les îles principales de l'Indonésie ou encore en Papouasie.
Les auteurs du rapport Sigma associent le séisme péruvien, dans le même paragraphe, au cyclone Sidr qui a ravagé le Bangladesh en novembre (3.363 victimes et 871 disparus). Les insfrastructures paracycloniques ont sans doute permis d'en limiter l'impact meurtrier. Si le bilan paraît lourd, il reste en deçà de cataclysmes tels celui subi par le Pakistan oriental (ancienne dénomination officielle, avant l'indépendance) en 1970 : probablement 300.000 morts dans un pays qui comptait trois fois moins d'habitants qu'aujourd'hui. En 1981, les autorités bangladeshis recensaient environ 115 millions d'habitants, pour 150 millions l'année dernière (estimation Population Reference Bureau). Les catastrophes dites naturelles trahissent donc surtout la fragilité des implantations et des activités humaines dans des secteurs à forte densité. La probable absence d'une quelconque indemnisation des victimes au Pérou ou au Bangladesh peut choquer. Il convient néanmoins de tirer profit de ces deux événements pour noter les défis relevés par les gouvernements et les populations dans des pays du Sud classés hâtivement comme sous-développés, ad vitam aeternam. Au prétexte que les eaux océaniques vont s'élever, les apôtres du nonisme et les amateurs de discours maraboutique considèrent à tort que le Bangladesh représente à lui tout seul le monde d'avant Noé ; un monde définitivement perdu.
Pendant que le monde en voie de développement déplore les pertes humaines, les assureurs indemnisent les habitants de pays développés. D'après le rapport Sigma, les sinistrés les sollicitent pour des montants croissant chaque année. Ecartons encore une fois l'approche généraliste et apocalyptique. Des cyclones traversent le nord du golfe du Mexique et jettent le chaos en Floride ? Le nombre d'habitants ne cesse pour autant de s'accroître (Même Mary veut s'y installer à tout prix) Des vents violents attisent les incendies en Californie ? Les ponctions en eaux dans les nappes phréatiques privent la végétation de son approvisionnement tandis que la périurbanisation non maîtrisée facilite la naissance et le déplacement des feux (voir California nightmare). La puissance de l'Etat et l'efficacité des assurances – en Floride et en Californie – expliquent sans doute en grande partie le fait que leur rudesse et leur dangerosité ne sautent pas aux yeux des candidats à l'installation. Dans le port de Galveston règne près d'un siècle après un parfum du passé. Mais à l'époque, personne n'a songé à Washington, ou même dans l'Etat du Texas, à financer une renaissance de la ville soudain rasée (source). Les assureurs jouent donc sans le désirer le rôle de pousse au crime, encourageant involontairement l'immigration (interne ou non) vers ces Etats.
Sigma rapporte que la tempête hivernale prénommée Kyrill a provoqué en Europe du nord d'importantes destructions et une quarantaine de décès. D'un coût total supérieur à 6 milliards de dollars, elle arrive de ce point de vue juste derrière Lothar. 1990, 1999 et 2007, trois dates rapprochées pour les tempêtes les plus chères de l'histoire européenne. Dans le cas de la Grande-Bretagne, le rapport relève que les dégâts des eaux provoqués par Kyrill s'ajoutent à ceux de l'été, en particulier dans le Yorkshire [2]. Cet ancien comté du nord-est de l'Angleterre compte cinq millions d'habitants répartis sur 15.000 km², dans ou autour des agglomérations de Bradford, de Doncaster, de Hull, de Sheffield ou encore de Leeds. La catastrophe naturelle touche donc l'une des régions les plus denses de la grande île : 333 habitants au km² contre 251 en moyenne au Royaume-Uni. L'étalement périurbain explique l'élargissement rapide des surfaces imperméabilisées : toits, routes, parkings conduisent à rejeter des volumes grandissants d'eaux pluviales lors des averses torrentielles...
Si au Bangladesh, on devrait parler de catastrophe humaine (plutôt que naturelle), au Royaume-Uni, c'est l'expression de catastrophe financière qui s'impose. La viabilité économique des maisons d'assurances se pose, au regard de ce qu'a coûté Kyrill. En attendant, le géographe constate un écart entre les hémisphères ! La douloureuse au Nord et la faucheuse au Sud.

PS./ Geographedumonde sur les questions environnementales : Oiseaux migrateurs contre mouettes opportunistes.

« Le séisme du 15 août au Pérou a été lourd de conséquences. Ce tremblement de terre d'une magnitude de 8, suivi de plusieurs répliques importantes, a frappé essentiellement la région d'Ica, de Lima et de Pisco. Au total, plus de 52.000 habitations ont été détruites. Près de 140.000 personnes se sont retrouvées sans-abri, plus de 500 sont décédées et 1.000 ont été blessées. » [Sigma - Swiss Re]
« Avec 165.000 sinistres et un montant total de dommages assurés de 4,8 milliards de dollars US, les inondations de l'été 2007 en Grande-Bretagne sont pour l'instant les plus coûteuses que l'histoire des assurances britanniques ait jamais connues. Les fortes précipitations précipitations étaient dues à une situation météorologique instable sur les îles britanniques, qui a favorisé aux mois de juin et juillet le passage en plusieurs vagues de zones de basses pressions en provenance de l'Atlantique. [...] Les sols étaient déjà fortement détrempés en raison des volumes importants déjà tombés, ce qui a conduit à une forte proportion d'inondations subites (en anglais flash floods). Avec un temps de retard, les fleuves ont ensuite débordé. Sheffield, Doncaster et Hull ont été les villes les plus touchées, de même que de vastes zones dans tout le Yorkshire. » [Id.]

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