Le Bangladesh comptait un peu plus de 70 millions d’habitants en 1971, année de l’indépendance. Selon les dernières estimations, il en compte 141,8 millions [sources : Banque mondiale / World Development Indicators 2004 (Quid 2006)]. Ce doublement intervenu dans un laps de temps très court – une génération et demie – s’est effectué sur un territoire comparativement assez réduit. Celui-ci équivaut à un quart du territoire français (144.000 km²) : presque l’Angleterre et le pays de Galles réunis. Dans le pays européen le plus proche par la taille (132.000 km²) vivent 11 millions de Grecs. On compte donc 12,77 fois plus d’habitants au Bangladesh, à superficies presque égales.
Les territoires concernés ne se ressemblent guère, le Bangladesh ne disposant quasiment d’aucune région montagneuse [voir les quelques exceptions à l’est]. Le pays est constitué de plaines alluviales très récentes à l’échelle géologique, datant de l’ère quaternaire. Au fur et à mesure que s’élève la chaîne himalayenne située plus au nord, les deux plus grands fleuves du sous-continent (Gange et Brahmapoutre) charrient les matériaux arrachés : jusqu’au delta, s’ils ne se déposent pas avant. Les deux fleuves s’écoulent à partir du nord-ouest pour le Gange, du nord-est pour le Brahmapoutre, et se rejoignent dans ce qui constitue le cœur du Bangladesh. « La plaine méridionale s’étend pour une grande part sous le niveau des fleuves : elle offre donc de vastes zones marécageuses et est exposée à de désastreuses inondations lors des crues concomitantes des deux grands fleuves. » [sources : Encyclopédie Géographique – La Pochothèque (Le Livre de Poche) – 1991]. A partir du mois de juin, la mousson commence et les précipitations augmentent pour ne diminuer qu’en octobre : entre 1.500 et 2.000 millimètres de pluies tombent en quatre mois. Avec un différé maximal d’un mois, le Gange et le Brahmapoutre déjà forts des eaux de fonte, se gonflent pour parvenir à leur niveau saisonnier de hautes eaux en automne. En novembre 1970 (la pire des conjonctions climatiques), un cyclone parcourt le pays, provoquant une inondation majeure. Entre 300 et 500.000 personnes périssent dans le sinistre.
Afin d’établir une éventuelle aggravation, il faut se demander si depuis l’indépendance, des aménagements fluviaux en amont du Bangladesh ont modifié le processus d’alluvionnement dans le delta. Dans le cas du Brahmapoutre, il semble que l’on ait surestimé l’ampleur de la déforestation. Mais la haute et la moyenne vallée du fleuve se situent en territoire chinois, le Brahmapoutre entaillant les hauts plateaux tibétains d’ouest en est, sur plus de mille kilomètres. Pour l’irrigation agricole, pour l’hydroélectricité ou pour des transfert d’eau en direction d’autres bassins – versants, le régime de Pékin a autorisé la construction de barrages au Tibet : avec quel effet sur l’alluvionnement du Brahmapoutre ?
Dans le cas du Gange, les barrages se dénombrent par dizaines, depuis des époques éloignées jusqu’à la période la plus récente. « Arrosée par la Yamuna, affluent du Gange, Delhi consomme, comme toutes les grandes villes, beaucoup d'eau. Les ressources proviennent pour l'essentiel de cette rivière. Deux barrages de retenue ont été construits sur le territoire fédéral de la capitale mais les principaux réservoirs se trouvent en amont à la limite des Etats d'Haryana et d'Uttar Pradesh. » La métropole de Delhi consommerait deux fois plus d’eau que Bombay, avec moins d’habitants. « La construction, avec l'aide de l'Union soviétique puis de la Russie et de l'Ukraine, du barrage de Tehri, au confluent de la Bhagirati (une des deux rivières formant le Gange) et de la Bhilangana, en Uttar Pradesh, a suscité de vifs débats […] Le barrage, en voie d'achèvement, doit assumer une quadruple fonction : production d'électricité, irrigation, prévention des inondations, contribution à l'alimentation en eau de Delhi.
Le maintien du système d'irrigation de la rivière Son, affluent de la rive droite du Gange, pose de sérieux problèmes au gouvernement du Bihar. Etabli à l'époque britannique, dans les années 1860, il perd de son efficacité par manque d'entretien, à cause de la construction de quelques barrages en amont dans l'Etat lui-même mais aussi parce que les Etats amont effectuent des prélèvements d'eau importants (réservoir de Bansagar au Madhya Pradesh et barrage de Rihand en Uttar Pradesh). » [sources] A chaque retenue sur le Gange ou sur l’un de ses affluents, le delta reçoit moins d’alluvions. La compétence du fleuve – sa capacité de transport de particules plus ou moins fines – diminue dans les mêmes proportions, impliquant un risque de régression du delta. Dans le même temps, l’irrigation a largement facilité la révolution verte en Inde, alors que les barrages régulent désormais les écoulements fluviaux dans le nord de la péninsule.
On apprend pourtant dans le dernier Courrier International (n°867 / Du 14 au 20 juin 2007 / p.57) qui reprend un article de Nader Rahman dans le Daily Star (Dacca), que le Bangladesh est victime du réchauffement climatique… A l’exclusion de tout autre mécanisme ! Selon le journaliste local, les glaciers himalayens fondent, les cyclones reviennent de plus en plus souvent, et les terres agricoles subissent des remontées salines. Les appels aux dons se multiplient, la culpabilisation constituant un puissant moteur : « il est communément admis que les pays les plus riches du monde sont les principaux responsables du problème du réchauffement planétaire. » Une charge contre les Etats-Unis suit après. Ne vaut-il pas mieux privilégier néanmoins les mises en perspectives moins schématiques ?
Il convient de réfléchir sur ce territoire récemment constitué. Que valent ces frontières instaurées au début des années 1970 à l’occasion de l’indépendance du Bangladesh, avec l’appui militaire de l’Inde, dans le but non dissimulé d’affaiblir l’ennemi pakistanais, mais sans réflexion sur l’avenir du nouveau pays ? Or les frontières cantonnent une population féconde dans un espace potentiellement non viable. A-t-on en outre tiré les enseignements de plus de deux décennies de politique dirigiste ? En 1971, la « République populaire du Bangladesh […] vit l’accession au pouvoir d’un parti politique unique (Awami) dont l’orientation était pro – indienne, pro – soviétique et socialiste. » [sources : Encyclopédie Géographique] Avec l’instauration de la démocratie, l’Awami a gardé une place influente dans le paysage politique local Les défrichements liés à la pression démographique autant qu’aux politiques de développement – elles sont aujourd’hui dénoncées dans le cadre de la lutte contre les inondations – ont réduit les forêts comme peau de chagrin au Bangladesh (superficie boisée actuelle évaluée à 15 %) ce qui favorise le ruissellement… Le développement des grandes métropoles pousse dans le même sens. Dacca rassemblait 2,2 millions d’habitants en 1976, tout près de la confluence entre le Gange et le Brahmapoutre. Trente ans plus tard, Il y en a cinq fois plus, dont une partie vivent dans des bidonvilles sous l’eau pendant la mousson.
Admettons une dernière hypothèse, et que l'aide internationale afflue. L’argent destiné aux millions de réfugiés climatiques futurs coulerait à flot... Pour rien. Garde-t-on en mémoire le niveau de corruption de l’Etat, au Bangladesh [ici] ? En 2001, l’ONG TransparencyInternational a classé à la dernière place le pays ! Le ras-le-bol de la population ne pouvant s’exprimer par le vote, l’extrémisme menace à dates régulières, comme le rappellent des vagues régulières d’attentats. Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat. Coupons court toutefois à une dernière insinuation : le pays ne s’appauvrit pas, en dépit du croît naturel. Le PNB par an et par habitant a progressé de 185 dollars en 1990 à 400 dollars en 2003. Ces chiffres disent plus dans le cadre d’une comparaison : en 1990, le PNB par habitant et par an du Bangladesh représentait 53 % de celui de l’Inde ; en 2003, le chiffre est passé au-dessus de la barre des 75 %.
PS./ Dernier papier sur les problèmes de sous-développement en lien avec la météorologie (La vie du Malawi (suite) ; et avec le réchauffement climatique : Le monde à l'échelle d'une autoroute.
Les territoires concernés ne se ressemblent guère, le Bangladesh ne disposant quasiment d’aucune région montagneuse [voir les quelques exceptions à l’est]. Le pays est constitué de plaines alluviales très récentes à l’échelle géologique, datant de l’ère quaternaire. Au fur et à mesure que s’élève la chaîne himalayenne située plus au nord, les deux plus grands fleuves du sous-continent (Gange et Brahmapoutre) charrient les matériaux arrachés : jusqu’au delta, s’ils ne se déposent pas avant. Les deux fleuves s’écoulent à partir du nord-ouest pour le Gange, du nord-est pour le Brahmapoutre, et se rejoignent dans ce qui constitue le cœur du Bangladesh. « La plaine méridionale s’étend pour une grande part sous le niveau des fleuves : elle offre donc de vastes zones marécageuses et est exposée à de désastreuses inondations lors des crues concomitantes des deux grands fleuves. » [sources : Encyclopédie Géographique – La Pochothèque (Le Livre de Poche) – 1991]. A partir du mois de juin, la mousson commence et les précipitations augmentent pour ne diminuer qu’en octobre : entre 1.500 et 2.000 millimètres de pluies tombent en quatre mois. Avec un différé maximal d’un mois, le Gange et le Brahmapoutre déjà forts des eaux de fonte, se gonflent pour parvenir à leur niveau saisonnier de hautes eaux en automne. En novembre 1970 (la pire des conjonctions climatiques), un cyclone parcourt le pays, provoquant une inondation majeure. Entre 300 et 500.000 personnes périssent dans le sinistre.
Afin d’établir une éventuelle aggravation, il faut se demander si depuis l’indépendance, des aménagements fluviaux en amont du Bangladesh ont modifié le processus d’alluvionnement dans le delta. Dans le cas du Brahmapoutre, il semble que l’on ait surestimé l’ampleur de la déforestation. Mais la haute et la moyenne vallée du fleuve se situent en territoire chinois, le Brahmapoutre entaillant les hauts plateaux tibétains d’ouest en est, sur plus de mille kilomètres. Pour l’irrigation agricole, pour l’hydroélectricité ou pour des transfert d’eau en direction d’autres bassins – versants, le régime de Pékin a autorisé la construction de barrages au Tibet : avec quel effet sur l’alluvionnement du Brahmapoutre ?
Dans le cas du Gange, les barrages se dénombrent par dizaines, depuis des époques éloignées jusqu’à la période la plus récente. « Arrosée par la Yamuna, affluent du Gange, Delhi consomme, comme toutes les grandes villes, beaucoup d'eau. Les ressources proviennent pour l'essentiel de cette rivière. Deux barrages de retenue ont été construits sur le territoire fédéral de la capitale mais les principaux réservoirs se trouvent en amont à la limite des Etats d'Haryana et d'Uttar Pradesh. » La métropole de Delhi consommerait deux fois plus d’eau que Bombay, avec moins d’habitants. « La construction, avec l'aide de l'Union soviétique puis de la Russie et de l'Ukraine, du barrage de Tehri, au confluent de la Bhagirati (une des deux rivières formant le Gange) et de la Bhilangana, en Uttar Pradesh, a suscité de vifs débats […] Le barrage, en voie d'achèvement, doit assumer une quadruple fonction : production d'électricité, irrigation, prévention des inondations, contribution à l'alimentation en eau de Delhi.
Le maintien du système d'irrigation de la rivière Son, affluent de la rive droite du Gange, pose de sérieux problèmes au gouvernement du Bihar. Etabli à l'époque britannique, dans les années 1860, il perd de son efficacité par manque d'entretien, à cause de la construction de quelques barrages en amont dans l'Etat lui-même mais aussi parce que les Etats amont effectuent des prélèvements d'eau importants (réservoir de Bansagar au Madhya Pradesh et barrage de Rihand en Uttar Pradesh). » [sources] A chaque retenue sur le Gange ou sur l’un de ses affluents, le delta reçoit moins d’alluvions. La compétence du fleuve – sa capacité de transport de particules plus ou moins fines – diminue dans les mêmes proportions, impliquant un risque de régression du delta. Dans le même temps, l’irrigation a largement facilité la révolution verte en Inde, alors que les barrages régulent désormais les écoulements fluviaux dans le nord de la péninsule.
On apprend pourtant dans le dernier Courrier International (n°867 / Du 14 au 20 juin 2007 / p.57) qui reprend un article de Nader Rahman dans le Daily Star (Dacca), que le Bangladesh est victime du réchauffement climatique… A l’exclusion de tout autre mécanisme ! Selon le journaliste local, les glaciers himalayens fondent, les cyclones reviennent de plus en plus souvent, et les terres agricoles subissent des remontées salines. Les appels aux dons se multiplient, la culpabilisation constituant un puissant moteur : « il est communément admis que les pays les plus riches du monde sont les principaux responsables du problème du réchauffement planétaire. » Une charge contre les Etats-Unis suit après. Ne vaut-il pas mieux privilégier néanmoins les mises en perspectives moins schématiques ?
Il convient de réfléchir sur ce territoire récemment constitué. Que valent ces frontières instaurées au début des années 1970 à l’occasion de l’indépendance du Bangladesh, avec l’appui militaire de l’Inde, dans le but non dissimulé d’affaiblir l’ennemi pakistanais, mais sans réflexion sur l’avenir du nouveau pays ? Or les frontières cantonnent une population féconde dans un espace potentiellement non viable. A-t-on en outre tiré les enseignements de plus de deux décennies de politique dirigiste ? En 1971, la « République populaire du Bangladesh […] vit l’accession au pouvoir d’un parti politique unique (Awami) dont l’orientation était pro – indienne, pro – soviétique et socialiste. » [sources : Encyclopédie Géographique] Avec l’instauration de la démocratie, l’Awami a gardé une place influente dans le paysage politique local Les défrichements liés à la pression démographique autant qu’aux politiques de développement – elles sont aujourd’hui dénoncées dans le cadre de la lutte contre les inondations – ont réduit les forêts comme peau de chagrin au Bangladesh (superficie boisée actuelle évaluée à 15 %) ce qui favorise le ruissellement… Le développement des grandes métropoles pousse dans le même sens. Dacca rassemblait 2,2 millions d’habitants en 1976, tout près de la confluence entre le Gange et le Brahmapoutre. Trente ans plus tard, Il y en a cinq fois plus, dont une partie vivent dans des bidonvilles sous l’eau pendant la mousson.
Admettons une dernière hypothèse, et que l'aide internationale afflue. L’argent destiné aux millions de réfugiés climatiques futurs coulerait à flot... Pour rien. Garde-t-on en mémoire le niveau de corruption de l’Etat, au Bangladesh [ici] ? En 2001, l’ONG TransparencyInternational a classé à la dernière place le pays ! Le ras-le-bol de la population ne pouvant s’exprimer par le vote, l’extrémisme menace à dates régulières, comme le rappellent des vagues régulières d’attentats. Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat. Coupons court toutefois à une dernière insinuation : le pays ne s’appauvrit pas, en dépit du croît naturel. Le PNB par an et par habitant a progressé de 185 dollars en 1990 à 400 dollars en 2003. Ces chiffres disent plus dans le cadre d’une comparaison : en 1990, le PNB par habitant et par an du Bangladesh représentait 53 % de celui de l’Inde ; en 2003, le chiffre est passé au-dessus de la barre des 75 %.
PS./ Dernier papier sur les problèmes de sous-développement en lien avec la météorologie (La vie du Malawi (suite) ; et avec le réchauffement climatique : Le monde à l'échelle d'une autoroute.
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