Bruno Philip commence par une imprécision son article consacré à une éventuelle suppression du laojiao par l’Assemblée nationale populaire (ANP) à Pékin ; car ce mot recouvre une définition ambivalente – camp de rééducation par le travail – puisqu’elle convient aussi pour le système du laogai, sur lequel je reviendrai un peu plus loin. « A la ‘une’ du très officiel China Daily du jeudi 1er mars, un article annonce que l'Assemblée nationale populaire (ANP), dont la session annuelle commence lundi 5 mars, va plancher sur un projet de loi visant à supprimer le tristement célèbre laojiao (camp de rééducation par le travail). »
Le journaliste rappelle que ce dernier date de la campagne dite des Cent Fleurs (1956 – 1957) et concerne des personnes condamnées à des peines légères, « trop bénignes pour être traînées devant les tribunaux : elles y sont donc envoyées en vertu d'une décision purement administrative ouvrant la voie à tous les abus. A ce jour, il y aurait encore trois cent mille détenus ‘rééduqués’ dans environ trois cents camps dispersés dans le pays. » En attendant, les étudiants de Tiananmen et les adeptes de Falungong emplissent par dizaines de milliers les camps du laojiao… La durée de rétention n’excède pas quatre années, mais « il n'existe aucun cadre légal pour fixer la durée de la détention. [En conclusion…] le régime est surtout soucieux de polir son image à destination de l'étranger avant les Jeux olympiques de 2008. »
A l'inverse du laojiao, le laogai a assez vite joui d'une certaine notoriété à l’extérieur de la Chine, du fait de son implication dans les grands travaux commandés par le régime communiste (train Lhassa – Pékin, barrage des Trois – Gorges), dans les trafics d’organes humains. Il a été surtout dénoncé pour concurrence déloyale, à cause des sous-traitants recourant à la main d’œuvre forcée au profit d’entreprises occidentales implantées en Chine ou y achetant des produits manufacturés sur place. Le régime chinois avoue 2 millions de prisonniers dans le laogai, c’est-à-dire un quart du chiffre avancé par la fondation d’Harry Wu, le tout se répartissant entre 1.100 camps.
Mais le laojiao mérite que l’on s’y intéresse, même s’il paraît en comparaison plus normal et moins cruel. Dans le document ci-joint, provenant d’une administration centrale d’Ottawa soucieuse de connaître le sort des clandestins renvoyés dans leur terre natale, il apparaît toutefois clairement que les autorités chinoises intègrent le laojiao dans leur politique migratoire. Les émigrants illégaux évoqués proviennent ici du Fujian, au sud-est du pays. Cette province donne sur le détroit de Formose ; à 150 kilomètres environ de l’autre côté du bras de mer, Taiwan représente une destination rêvée pour s’exiler.
Le document canadien ramène à peu de choses les illusions de Bruno Philip sur la réforme du droit local : en Chine communiste, il n’y a aucun corpus juridique nettement délimité et reconnu de tous. On y relève l’extrême variabilité des sanctions encourues, et le flou complet des dispositions légales. Les émigrants tombent sous le coup de deux articles : « l'article 14 de la Loi de la République populaire de Chine sur les entrées et sorties des citoyens (1986) [Et…] L'article 322 (anciennement l'article 176) de la Loi pénale de la République populaire de Chine (1997) » La durée de détention maximale passe de dix jours à un an d’un article à l’autre (à condition de ne pas être jugé comme passeur), tandis que des amendes peuvent venir s’ajouter… Finalement, « il est difficile de prédire, dans un cas donné, la sanction que l'on imposera. » C’est le règne de l’arbitraire.
L’organisation Amnesty International citée dans le rapport affirme avoir reçu des preuves concernant des rapatriés qui « ont été détenus et condamnés à une amende à leur arrivée en Chine. ‘Les personnes qui n'ont pas pu payer l'amende imposée auraient été envoyées en prison pour des périodes allant de deux à trois ans’ (17 déc. 1998). » Selon Ko – lin Chin (de l’université Rutgers) également cité, « les personnes rapatriées peuvent être condamnées à une amende, détenues, ou les deux : [traduction] selon les fonctionnaires chinois que j'ai interviewés, les migrants illégaux qui s'étaient rendus à l'étranger et qui ont été renvoyés en Chine sont maintenus en détention dans un shoushengsuo local (centre de détention de la police) pour une période de deux semaines […] les migrants rapatriés à Changle, à Tingjian et à Lianjiang devaient généralement payer une amende qui pouvait s'élever à 25 000 yuans (soit environ 3 000 $); on imposait aux migrants de Fuqin une amende de 18 000 yuans (soit environ 2 000 $), et aux migrants de Pingtan une amende pouvant atteindre 6 000 yuans (environ 700 $) (1998, 373-374). » En 2003, le PNB par Chinois et par an atteint 1.100 dollars ; et la richesse produite par les grandes villes littorales le tirent vers le haut !
Les récidivistes prennent beaucoup plus de risques puisqu’ils (même source) : « peuvent recevoir une peine de prison d'un an dans une prison de laojiao […] les conditions dans le laojiao peuvent être particulièrement dures pour les personnes qui n'ont pas de guangxi (relations) ou les moyens de donner des pots-de-vin au personnel pour améliorer leur situation (ibid., 376-377). » Peter Kwong (auteur en 1997 de : Forbidden Workers: Illegal Chinese Immigrants and American Labor) avance quant à lui que le détenu doit payer sa pension en prison, mais qu’à l’inverse peu d’immigrants se font prendre.
Dans un autre registre, le dernier Courrier International (n°852) retranscrit un article du Guardian (ici) sur la circulation des faux médicaments en Chine continentale. En contrepoint d’un procès spectaculaire (pour un contrefacteur de Viagra), le journaliste Jonathan Watts évoque la gravité des conséquences : « En mai 2006, onze personnes sont mortes après avoir pris des antibiotiques fabriqués dans la province de Heilongjiang, dans le nord-est de la Chine. Le fabricant y avait ajouté par erreur du diéthylène glycol, un produit toxique [utilisé dans les antigels] […] En 2005, dans la province de l’Anhui, au moins cinquante nourrissons sont morts et une bonne centaine se sont retrouvés en état de malnutrition après avoir été nourris avec un lait maternisé qui ne contenait pratiquement aucun des éléments indispensables à la croissance des enfants.
Selon les chiffres officiels, les autorités chinoises ont enquêté en 2005 sur 310.000 affaires de contrefaçon de médicaments représentant un montant total de 51 millions de yuans. Elles ont ordonné la fermeture de 530 usines, mais seules 214 affaires ont été portées devant les tribunaux. » En bref, l’arbre est pourri jusqu’aux racines, et aucune loi ne rendra ses fruits comestibles. Pour en revenir au laojiao, faut-il comprendre que l’ANP décrètera demain la libre circulation des Chinois continentaux ? Je doute que les Chinois ne se laisse berner et prennent ces mesures cosmétiques pour de vrais médicaments…
PS./ Dernier papier sur la Chine : Propreté d'hier et saleté d'aujourd'hui.
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