Prenons d’abord un avion de tourisme aux antipodes des jets ultramodernes effectuant des vols intercontinentaux, un Cessna 172 n’ayant rien des standards d’avions de ligne, vendu à des milliers d’exemplaires. Totalement banal, il passe inaperçu au point d’avoir déjoué à plusieurs reprises les systèmes de surveillance radar de nombreuses armées de l’air. Il se pilote apparemment sans poser trop de difficultés : j’en parle à mon aise, moi qui n’apprécie rien tant que le plancher des vaches ! Cet avion vole dans sa version la plus rapide à 125 nœuds, c’est-à-dire à 230 km/h [voir ici les conversions ] mais il peut assez facilement atteindre 300 km/h (vitesse à ne pas dépasser ou VNE ). Avec ses réservoirs habituels, un vol dure au maximum six heures. On estime par conséquent la distance parcourue à 790 Nautiques ou miles marins (1 mile = 1,852 km), c'est à dire un rayon d'action de 1.460 kilomètres.
Imaginons qu’en prévision d’une distance exceptionnelle à parcourir, on ait installé un réservoir ou deux supplémentaires dans le Cessna, à l’encontre de consignes de sécurité élémentaires. Un allongement du vol ne peut que renforcer les risques d’incidents mécaniques par surchauffe du moteur. L’envahissement du cockpit par des réserves supplémentaires d’un carburant inflammable met en péril le pilote. Il a soigneusement choisi la date de son vol pour profiter d’une bonne météo. Il lui faut des vents porteurs réguliers qui poussent son avion tout au long du trajet ; disons au milieu du printemps de l’hémisphère nord. Dans l’Atlantique, au large du Brésil, les alizés s’installent tout juste, ils vont souffler pendant plusieurs semaines du sud-ouest vers le nord-est : le Front Inter – Tropical (qui désigne la frontière virtuelle de rencontre des alizés des deux hémisphères) glisse au nord de l’équateur, par l’effet de la remontée de l’anticyclone de l’Atlantique Sud.
Au mois de mai, notre pilote de Cessna va tenter de parcourir plus de 2.500 kilomètres, grâce au vent et à son surplus de carburant embarqué. Ni Mermoz, ni Guillaumet, ni Saint-Ex, il ne vise aucun record officiel et ne souhaite surtout pas de publicité. Partant de la pointe orientale du Brésil, sa destination se situe sur l’autre bord de l’Atlantique, en Afrique de l’ouest. L’île de l’Ascension sous souveraineté britannique constituerait une étape idéale (à 1.800 kilomètres environ du littoral brésilien), mais le risque d’être repéré s’accroît… Entre les villes de Natal (au Brésil) et Monrovia, la capitale du Libéria, la distance est de 2.600 kilomètres.
Notre pilote n’ignore rien des risques qu’il encourt : au-dessus de l’océan, l’arrêt du moteur signifie une mort très probable. Un avion plus puissant serait plus sûr, mais n’échapperait pas à la vigilance des contrôleurs aériens. Même au-dessus de la terre ferme, les longs trajets réservent des surprises, en petit avion de tourisme : voir ce cas au Québec. Mais s’il tente sa chance, c’est parce que le salaire escompté est énorme. Il emporte avec lui 630 kilos de cocaïne d’une valeur de 15 millions d’euros ; à ce niveau, une commission d’1 % représente déjà une somme de 150.000 euros. Si j’ai juxtaposé les hypothèses pour reconstituer les détails de ce périple, c’est parce que l’on a appris dans le Monde la prise de cette cargaison, qui elle n’a rien de virtuelle !
L’article évoque un trajet impossible entre le Venezuela et la Mauritanie. En vol direct, le saut de puce mesure au bas mot 4.000 kilomètres : c’est manifestement hors de portée d’un Cessna, même dopé ! Je suppose pour ma part une escale au Brésil pour raccourcir la transatlantique en solitaire et en Cessna, comme indiqué plus haut. Ce premier trajet entre le Venezuela et le Nordeste implique un survol de la selva amazonienne sur des centaines de kilomètres ; sans aéroports, mais avec la discrétion voulue. Il reste ensuite à rallier l’Europe une fois arrivé en Afrique, en longeant le littoral pour traverser au plus court le Sahara, comme à l’époque du Dakar – Casablanca. Un hélicoptère prend ensuite le relais. Si l'on en juge par l’incident final, le voyage n’est pas de tout repos.
Lisons Jean-Pierre Tuquoi et « la saisie, dans la nuit du 1er au 2 mai, d'une importante cargaison de drogue déchargée d'un avion de tourisme sur le tarmac de l'aéroport de Nouadhibou, la capitale économique [de la Mauritanie] ». Cette ville littorale se situe à la frontière avec le Sahara occidental, pays fantôme et province actuellement sous juridiction marocaine. Les forces de sécurité mauritaniennes, nous dit le journaliste ont eu la puce à l’oreille en apprenant l’atterrissage du bimoteur. « Il n'aurait d'ailleurs jamais dû atterrir à Nouadhibou, l'aéroport, en travaux, fonctionnant au ralenti. Ce n'est qu'en simulant des ennuis techniques qu'il a obtenu de la tour de contrôle l'autorisation de se poser. L'appareil ayant atterri et la cocaïne, répartie dans des caisses, rapidement déchargée sur le tarmac de l'aéroport, deux voitures de police se sont dirigées vers le Cessna. Abandonnant la cargaison, l'équipage a re–décollé. Le Cessna a été retrouvé peu après, à court de carburant, posé dans le désert sur une piste d'atterrissage improvisée à quelques dizaines de kilomètres au sud de Nouadhibou. » Mais l’équipage s’est enfuit ; il bénéficie d’appuis et se cache quelque part dans le désert.
Jean-Pierre Tuquoi fait part de ses hypothèses dans la deuxième moitié de l’article sur les complicités entre traficants et officiels, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat mauritanien : il évoque le fils de l’ancien chef de l’Etat, un homme politique de l’ancienne opposition, et un homme d’affaires en vue. « Outre l'enquête judiciaire, une commission administrative composée de neuf membres étudie les possibles ramifications des réseaux de drogue au sein de l'administration. Selon l'opposition, ‘la Mauritanie est devenue (...) un maillon des réseaux internationaux de la drogue’. » Le journaliste convainc moins lorsqu’il affirme que cette affaire nuit aux intérêts du nouveau chef de l’Etat. La découverte de l’avion grâce à un zèle soudain de son administration - d'habitude plutôt passive - lui donne à mon sens au contraire une stature nationale et internationale d’homme d’Etat intègre. Je ne crois donc ni au saut de puce (du Cessna) ni à la puce à l’oreille (de la police locale) !
Imaginons qu’en prévision d’une distance exceptionnelle à parcourir, on ait installé un réservoir ou deux supplémentaires dans le Cessna, à l’encontre de consignes de sécurité élémentaires. Un allongement du vol ne peut que renforcer les risques d’incidents mécaniques par surchauffe du moteur. L’envahissement du cockpit par des réserves supplémentaires d’un carburant inflammable met en péril le pilote. Il a soigneusement choisi la date de son vol pour profiter d’une bonne météo. Il lui faut des vents porteurs réguliers qui poussent son avion tout au long du trajet ; disons au milieu du printemps de l’hémisphère nord. Dans l’Atlantique, au large du Brésil, les alizés s’installent tout juste, ils vont souffler pendant plusieurs semaines du sud-ouest vers le nord-est : le Front Inter – Tropical (qui désigne la frontière virtuelle de rencontre des alizés des deux hémisphères) glisse au nord de l’équateur, par l’effet de la remontée de l’anticyclone de l’Atlantique Sud.
Au mois de mai, notre pilote de Cessna va tenter de parcourir plus de 2.500 kilomètres, grâce au vent et à son surplus de carburant embarqué. Ni Mermoz, ni Guillaumet, ni Saint-Ex, il ne vise aucun record officiel et ne souhaite surtout pas de publicité. Partant de la pointe orientale du Brésil, sa destination se situe sur l’autre bord de l’Atlantique, en Afrique de l’ouest. L’île de l’Ascension sous souveraineté britannique constituerait une étape idéale (à 1.800 kilomètres environ du littoral brésilien), mais le risque d’être repéré s’accroît… Entre les villes de Natal (au Brésil) et Monrovia, la capitale du Libéria, la distance est de 2.600 kilomètres.
Notre pilote n’ignore rien des risques qu’il encourt : au-dessus de l’océan, l’arrêt du moteur signifie une mort très probable. Un avion plus puissant serait plus sûr, mais n’échapperait pas à la vigilance des contrôleurs aériens. Même au-dessus de la terre ferme, les longs trajets réservent des surprises, en petit avion de tourisme : voir ce cas au Québec. Mais s’il tente sa chance, c’est parce que le salaire escompté est énorme. Il emporte avec lui 630 kilos de cocaïne d’une valeur de 15 millions d’euros ; à ce niveau, une commission d’1 % représente déjà une somme de 150.000 euros. Si j’ai juxtaposé les hypothèses pour reconstituer les détails de ce périple, c’est parce que l’on a appris dans le Monde la prise de cette cargaison, qui elle n’a rien de virtuelle !
L’article évoque un trajet impossible entre le Venezuela et la Mauritanie. En vol direct, le saut de puce mesure au bas mot 4.000 kilomètres : c’est manifestement hors de portée d’un Cessna, même dopé ! Je suppose pour ma part une escale au Brésil pour raccourcir la transatlantique en solitaire et en Cessna, comme indiqué plus haut. Ce premier trajet entre le Venezuela et le Nordeste implique un survol de la selva amazonienne sur des centaines de kilomètres ; sans aéroports, mais avec la discrétion voulue. Il reste ensuite à rallier l’Europe une fois arrivé en Afrique, en longeant le littoral pour traverser au plus court le Sahara, comme à l’époque du Dakar – Casablanca. Un hélicoptère prend ensuite le relais. Si l'on en juge par l’incident final, le voyage n’est pas de tout repos.
Lisons Jean-Pierre Tuquoi et « la saisie, dans la nuit du 1er au 2 mai, d'une importante cargaison de drogue déchargée d'un avion de tourisme sur le tarmac de l'aéroport de Nouadhibou, la capitale économique [de la Mauritanie] ». Cette ville littorale se situe à la frontière avec le Sahara occidental, pays fantôme et province actuellement sous juridiction marocaine. Les forces de sécurité mauritaniennes, nous dit le journaliste ont eu la puce à l’oreille en apprenant l’atterrissage du bimoteur. « Il n'aurait d'ailleurs jamais dû atterrir à Nouadhibou, l'aéroport, en travaux, fonctionnant au ralenti. Ce n'est qu'en simulant des ennuis techniques qu'il a obtenu de la tour de contrôle l'autorisation de se poser. L'appareil ayant atterri et la cocaïne, répartie dans des caisses, rapidement déchargée sur le tarmac de l'aéroport, deux voitures de police se sont dirigées vers le Cessna. Abandonnant la cargaison, l'équipage a re–décollé. Le Cessna a été retrouvé peu après, à court de carburant, posé dans le désert sur une piste d'atterrissage improvisée à quelques dizaines de kilomètres au sud de Nouadhibou. » Mais l’équipage s’est enfuit ; il bénéficie d’appuis et se cache quelque part dans le désert.
Jean-Pierre Tuquoi fait part de ses hypothèses dans la deuxième moitié de l’article sur les complicités entre traficants et officiels, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat mauritanien : il évoque le fils de l’ancien chef de l’Etat, un homme politique de l’ancienne opposition, et un homme d’affaires en vue. « Outre l'enquête judiciaire, une commission administrative composée de neuf membres étudie les possibles ramifications des réseaux de drogue au sein de l'administration. Selon l'opposition, ‘la Mauritanie est devenue (...) un maillon des réseaux internationaux de la drogue’. » Le journaliste convainc moins lorsqu’il affirme que cette affaire nuit aux intérêts du nouveau chef de l’Etat. La découverte de l’avion grâce à un zèle soudain de son administration - d'habitude plutôt passive - lui donne à mon sens au contraire une stature nationale et internationale d’homme d’Etat intègre. Je ne crois donc ni au saut de puce (du Cessna) ni à la puce à l’oreille (de la police locale) !
PS./ Dernier papier sur le Sahara : Dans l'Aïr, ne pas manquer d'air.
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