vendredi 25 juin 2010

Oiseaux migrateurs, contre mouettes opportunistes. (Du classement en réserve nationale de chasse du Golfe du Morbihan)


Par arrêté du 16 janvier 2008, le ministre de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables crée la réserve nationale de chasse et de faune sauvage du golfe de Morbihan. En trente cinq ans, c'est la quatrième fois que le gouvernement labélise la petite mer bretonne : création de la réserve de chasse sur le domaine public maritime en 1973, inscription en 1991 sur la liste internationale des zones humides (Ramsar) et classement en site Natura 2000 (2004 et 2007). Le dernier arrêté délimite la superficie protégée (7.358 hectares) en excluant les îles du Golfe du classement. Elles sont évidemment les plus difficiles à urbaniser. Un flou domine dans la délimitation de la zone protégée. Si les communes concernées n'apparaissent pas nominativement, on trouve quand même sur la liste des personnalités appelées à siéger dans le Comité directeur, les maires d'Arradon, de Baden, de l'Île-d'Arz, de l'Île-aux-Moines, de Larmor-Baden, du Hézo, de Noyalo, de Séné, de Saint-Armel, de Sarzeau et de Vannes. Le ministre confie la gestion de la réserve naturelle à l'Office national de la chasse et de la faune. Celui-ci doit protéger les oiseaux migrateurs, favoriser l'étude des ornithologistes, coordonner l'action des associations, administrations et collectivités, tout en assurant une double mission de sensibilisation et de formation ; ambitieux programme.
De façon plus prosaïque, l'Office a recruté Lionel Picard comme chargé de mission pour surveiller le Golfe. Jean-Luc Poussier de La Croix (14 février 2008) l'a interrogé et ne cache pas son enthousiasme. Son article remplit la rubrique du jour « Ce qui va mieux » (P.9). Mais qu'est-ce qui va mieux ?... Le golfe du Morbihan « est un formidable restaurant à ciel ouvert pour les 100.000 oiseaux qui viennent s'y reposer ou s'y nourrir chaque hiver, en particulier sur un millier d'hectares d'herbiers de zostères (plantes marines vivaces). » Le journaliste recense un certain nombre d'espèces qui se posent quelques jours par an dans le Golfe : la bernache cravant, le canard siffleur, le canard pilet, la sterne de Dougall, le bécasseau variable, la barge à queue noire. Questionné sur la diminution des effectifs d'oiseaux, le futur protecteur des zones humides morbihanaises se perd dans les vasières : « On se rend compte que le nombre d'oiseaux baisse d'année en année, sans doute pour une multitude de raisons parfois difficiles à identifier. On avait tendance à faire du coup par coup, maintenant on va avoir une veille écologique et on pourra réguler les interventions. »
Peut-être conviendrait-il d'observer brièvement deux cartes : celle de 1941 et celle 2001 [ (1/250.000° - Michelin / Fonds perso.) ] Il y a soixante-sept ans, cette partie méridionale de la Bretagne donnait l'impression de vide : des villages dispersés et peu de tâches vertes, car les bois occupaient une surface réduite. L'agriculture dominait visiblement les autres activités ; malgré les amendements, la terre de qualité moyenne ne permettait pas de grandes cultures mécanisées. On trouvait des céréales pauvres (seigle, sarrasin, etc.), des vergers, et de l'élevage : en terme choisi, une polyculture dégageant peu d'excédents. Au fond du golfe, la préfecture de Vannes ne bénéficiait ni de la pêche, comme dans le Finistère ou en Bretagne nord, ni d'activités militaires équivalentes à celles de Lorient ou Brest. Sur le littoral, les stations balnéaires familiales restaient en retrait par rapport à d'autres stations de la côte Atlantique, mieux desservies par le train (La Baule) ou simplement davantage à la mode. Le pays de Bécassine attirait alors plutôt moins que la côte basque (Biarritz) ou charentaise (Royan) : avec des exceptions notables comme Dinard.
En 2001, le paysage du Golfe a changé du tout au tout. La forêt se fait un peu plus présente, qui témoigne du déclin du secteur primaire en terme d'actifs. L'agriculture s'est intensifiée. L'élevage hors-sol place le département au premier rang français pour la volaille (plus d'un tiers de la production bretonne), au troisième rang pour les porcins et au sixième rang pour la production laitière ; l'élevage des veaux dépend directement de cette dernière activité. A l'exception partielle des bovins, cet élevage sous hangars ne nécessite pas d'herbages et occupe une place relativement modeste. Des cultures fourragères complètent l'alimentation bovine [Sources]. La monoactivité agricole implique des rejets dans les eaux courantes, celles-ci convergeant dans ce réceptacle naturel qu'est le Golfe. Le lisier accentue en dernier recours l'envasement naturel, que la marée montante prend en charge et évacue vers la haute mer par un mécanisme de chasse-d'eau.
Mais sur la carte s'impose bien plus encore l'urbanisation galopante, particulièrement spectaculaire dans la partie nord. Vannes étend désormais son influence jusqu'à Séné au sud-est et Arradon au sud-ouest. L'étalement urbain gagne de proche en proche et réunit les coeurs de communes les uns aux autres. Il y a près de vingt ans, Pierre Etienne signalait l'expansion vannetaise : « [le développement de Vannes] est plus rapide que celui de Quimper et elle a ce qui manque au chef-lieu du Finistère, dépossédé au profit de Morlaix et de Landerneau : le monopole de l'organisation du milieu rural morbihanais. De plus Vannes est plus résidentielle, plus liée au développement touristique ; c'est une ville cossue, trop étendue avec ses deux ZUP de Kerkado et de Menimur... » [1] Les voies express (4 x 4 voies) surlignent le trait de côte. Elles font office de périphérique pour le Golfe, dont seule la partie centrale échappe à l'automobiliste – estivant. Les résidences secondaires ponctuent désormais le paysage, bien visibles sur les images satellitales et grignotent année après année tous les espaces libres. Avec les routes macadamisées, elles représentent des milliers de mètres – carrés de surfaces imperméabilisées (voir l'environnement fait vendre). Les volumes d'eaux pluviales augmentent et modifient les équilibres biologiques, malgré un passage aujourd'hui obligatoire par des stations d'épuration.
Au fond, le classement en fanfare dissimule une lente disparition des espaces vacants, humides ou non. A défaut d'oiseaux migrateurs, les volatiles autochtones comme les mouettes trouvent leur bonheur dans cette concentration de population saisonnière, et se régalent des déchets abandonnés : moins de migrateurs et plus d'opportunistes. Le classement satisfait toutefois tous ceux qui possèdent d'ores et déjà un pied-à-terre. Il annonce un futur arrêt des constructions sur le Golfe, promesse d'augmentation des prix du foncier et d'une valorisation artificielle de leurs biens. Le tout sur une mélodie environnementaliste.


PS./ Dernier papier sur les questions environnementales : Faut-il toujours cultiver notre jardin ?


(1) Pierre Etienne / Les régions françaises / Masson – 3ème édition (1993) / P.103.

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