jeudi 24 juin 2010

Où va l’Andalou ? (du référendum sur les statuts de l’Andalousie, et des bases du national - régionalisme local)

Au départ, il y a un homme : Blas Infante (1885 – 1936). Issu de la petite bourgeoisie andalouse, il fait des études de droit qui lui permettent de s’installer à l’âge de 24 ans dans la capitale provinciale, à Séville. Il s’introduit alors dans les cercles régionalistes naissants. Au XIXème siècle, en Espagne, rares sont les progressistes centralisateurs… Les premiers font penser à la révolution française honnie, et les seconds à la monarchie. Infante s’affirme vite comme rousseauiste, agrarien, et à ce titre attaché à une religion liée à la terre ; le chant finalement choisi par Blas Infante en 1933 (puis repris par les nationalistes andalous) dérive ainsi de l’Angelus. « Mon nationalisme, avant qu’andalou, est humain. Je pense que, pour la naissance, la Nature signale aux soldats de la Vie l’endroit où ils doivent lutter pour elle. Je veux travailler pour la Cause de l’esprit en Andalousie car en elle je suis né. »

En Andalousie, il n’y a pas de langue à réhabiliter, mais une histoire locale à réécrire. Blas Infante participe de ce mouvement qui s’accélère à la fin du XIXème siècle. La défaite de l’Espagne à l’issue de la guerre hispano-américaine (1898) déconsidère durablement l’Etat centralisateur et une monarchie critiquée de toutes parts. Les deux premières décennies du siècle suivant correspondent en outre à une phase de développement rapide de la péninsule, rentrée tardivement dans la révolution industrielle ; contrairement au Portugal engagé contre l’Allemagne, l’Espagne reste neutre pendant la première guerre mondiale : son économie en tire tous les bénéfices, l’Andalousie comprise. Sa façade atlantique, avec le port de Cadiz, est tournée vers l’Amérique d’où arrivent matières premières et produits manufacturés.

La première assemblée dite régionaliste se réunit en 1918 à Ronda. On y réclame l’autonomie, et Blas Infante se fait connaître comme l’ordonnateur du mouvement, réunissant toute l’Andalousie derrière le drapeau rayé vert et blanc... Directement copié des armes de la ville de Cadiz. Dans le Manifeste de Cordoue (1er janvier 1919), alors que l’Espagne traverse une période de crise profonde des institutions, Blas Infante appelle sans détour au démantèlement de l’Etat espagnol et à une sorte d’indépendance de l’Andalousie.

Par la suite, Blas Infante n’a jamais rencontré de soutien sérieux auprès de ses concitoyens : échec électoral imputé à la résistance des caciques. Il rejette la dictature de Primo de Rivera, qui en retour ordonne la fermeture des Centres andalous. Lorsqu’il prend contact avec des régionalistes galiciens, c’est sans lendemain. La proclamation de la République en 1931 coïncide avec son installation comme notaire à Séville. A la tête de l’Assemblée Libéraliste Andalouse, il échoue cependant une nouvelle fois dans ses tentatives pour se faire élire autour d’un programme avant-gardiste : fédéralisme, réforme du système électoral, de l’enseignement, du mariage ou encore de la propriété agricole. Le fondateur de l’andalousisme va jusqu’à se piquer de sympathies pour l’anarchisme ; nouvelle déconvenue aux élections de novembre 1933.

Il participe cette année-là à la rédaction d’un Avant-projet pour le Statut d’Autonomie. Mais cet avant-projet ne rallie que quelques notables éclairés de Séville et Cordoue. A Huelva, on souhaite un rattachement à l’Estrémadure, tandis qu’à l’est les notables de Grenade, Jaen et Almeria militent pour une fédération d’Andalousie orientale… A Malaga, on s’abstient. Pendant ce temps, l’Espagne se décompose. Les régionalistes ont d’autres chats à fouetter !

Le 5 juillet 1936 à Séville, quelques jours avant le putsch des généraux (ralliés ensuite par Franco), une assemblée autoproclamée (comme future Assemblée Régionale d'Andalousie) élit Blas Infante président d’honneur. Le général rebelle Qeipo de Llano s’impose avec une poignée de fidèles à la tête de la garnison dans cette même ville de Séville, sans rencontrer d’opposition, une semaine après. L’Andalousie devient même la base arrière des putschistes – bientôt appelés franquistes – pour le reste de la guerre. Grâce à elle, le transfert de troupes au départ du Maroc permet même aux rebelles de marcher sur Madrid dès la fin du mois de juillet 1936, trois semaines après le pronunciamiento… Blas Infante est fusillé le 11 août sur la route de Carmona.

Le régionalisme andalou réapparaît dans les années 1960 et vient au grand jour à la fin des années 1970. Le statut d’autonomie est officialisé en 1982. Socialistes et autonomistes ont depuis dirigé la première région espagnole (deuxième par la superficie) jusqu’en 2007, date du dernier vote sur lequel il convient de conclure, et qui ressemble à s’y méprendre à une semi – indépendance .

Mais cette Andalousie Infantisée n’a plus grand-chose à voir avec celle d’avant la Guerre civile. Sur un peu plus de 7 millions d’habitants, plus d’un tiers vit dans les grandes villes ; celle, industrieuse de Séville (704 000 hab.), mais aussi Malaga (536 000), Cordoue (315 000) Grenade (240 000) et Cadix (136 000). Ces villes captent une bonne part du tourisme international, en concurrence toutefois avec le littoral (Costa del Sol plus prisée que la Costa de la Luz).

Peut-on encore parler d’Espagne sans l’Andalousie ? Cette province n’est pas la seule ayant une façade atlantique. Mais que l’on regarde la carte : il n’y a pas l’équivalent du Guadalquivir au nord. La meseta centrale n’y est pas bordée par des lignes de montagnes, mais au contraire ouverte grâce au fleuve. L’Andalousie phénicienne, carthaginoise avant d’être romaine fait le lien entre l’Espagne et l’Amérique. Elle garde enfin toutes les traces d’un passé maure.

Mais beaucoup se réjouissent dans le reste de la péninsule de la semi-indépendance de l'Andalousie. La séparation comble d’aise tous ceux qui, plus au nord, y voient une coupure avec l’Espagne ibéro – américaine, avec l’Espagne africaine ; celle du Sud, du soleil des fainéants… Qui ne se sont déplacés qu’au tiers du corps électoral pour valider (certes à plus de 90 %) le nouveau statut électoral. Mais le national – régionalisme se fait souvent à rebours du peuple pourtant constamment appelé à la rescousse… Dans les discours. Où va l’Andalou ?

P.S. : Le statut andalou de fev. 2007 fixe "l'identité andalouse (hymne, drapeau, fête) et établit Séville comme capitale. Comme le statut catalan, il garantit les compétences de la région pour éviter que l'Etat n'en fasse une interprétation restrictive. Il élargit les compétences de la région en créant l'Agence fiscale andalouse, une entité qui recueillera les impôts locaux et la part des recettes fiscales cédée par l'Etat, notamment une partie de l'impôt sur les revenus. Il prévoit aussi la création d'un conseil audiovisuel et d'un institut de météorologie."

P.S. (bis) : Dernier papier sur le national - régionalisme (Ecosse) : Echos laids d'Ecosse.

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