Connaissez-vous les règles du jeu du ni oui, ni non ? Il ne faut prononcer ni l’un ni l’autre dans un dialogue entre un questionneur et un questionné. Le premier gagne lorsqu’il parvient à provoquer une réponse – réflexe chez son adversaire. Ce dernier l’emporte toutefois s’il n’articule aucun des deux mots ! C’est un peu le jeu auquel s’est inconsciemment prêtée Cécile Prieur dans le Monde : « Deux mille patients interpellent les candidats à l’élection présidentielle. » La journaliste consacre un long article à l’euthanasie en n’utilisant qu’une fois le mot suicide et deux fois le mot mort. L’exercice de style consiste il est vrai à employer le plus grand nombre de synonymes pour éviter la lassitude provoquée par la répétition… Pourtant, l’apparente similitude des mots ne signifie pas qu’ils se confondent. La périphrase fin de vie n’équivaut pas au mot mort tout comme un point, en mathématique, se distingue d’une ligne infinité de points. La mort est le point final.
Elle se définit médicalement comme l’arrêt définitif de l’ensemble des fonctions physiologiques vitales. Elle rentre donc dans la catégorie interruption et non interaction ; l’expression donner la mort est un euphémisme : on préfèrera dire d’un mari violent qu’il tabasse sa femme plutôt qu’il lui donne des coups. Mais c’est aussi un sophisme. Car il y a une économie du don (voir éconoclaste ). On donne généralement avec l’objectif plus ou moins exprimé de faire plaisir à celui qui reçoit une attention, une gratification ou un cadeau. Donner à un trépassé n’a pas plus de sens que d’ajouter x à moins l’infini ; quel que soit x, le résultat reste toujours négatif (x – ∞ = – ∞). Le mort ne rendra rien, par définition. Deuxième cas de figure ; on donne dans l’espoir d’un retour sur investissement, pour filer la métaphore économique, pour obtenir une satisfaction personnelle ; je donne pour me renvoyer une image positive de moi-même. On peut cependant émettre quelques doutes sur le plaisir narcissique d’une action consistant à donner la mort.
Dans mes deux hypothèses, j’ai volontairement laissé de côté deux questions. La première est celle-ci : n’y a-t-il pas derrière (ou à côté) du candidat à l’euthanasie, un ou plusieurs proche(s) ? Evalue-t-on à quel point il(s) ne supporte(nt) plus la fin de vie de l’intéressé [le problème n’étant pas de savoir si c’est intolérable – çà l’est – mais quelle aide lui (leur) apporter] ? La seconde question concerne plus particulièrement les médecins et infirmières, étant donné qu’il n’y aucun plaisir à donner la mort : ceux qui manifestent ou ceux qui n’en pensent pas moins n’expriment-ils pas dans la pétition une lassitude (face à la répétition de lentes agonies) ou plus sûrement une solitude dans la confrontation quotidienne avec les mourants. Dira-t-on combien de milliers de Français rendent chaque année leur dernier souffle dans une chambre d’hôpital, avec pour seuls compagnons une table en formica et deux fauteuils en simili – cuir, ne pouvant espérer qu’un court réconfort venu d’un personnel au mieux pris par le temps, ou au bout du rouleau ?
Revenons à l’article : « Alors que doit s'ouvrir, le 12 mars à Périgueux, le procès en assises d'une infirmière et d'une médecin, poursuivies pour avoir donné volontairement la mort à une patiente en phase terminale d'un cancer, 2 000 soignants signent un manifeste appelant à la dépénalisation ‘sous conditions’ des pratiques d'euthanasie » [on notera les deux circonlocutions : donner volontairement la mort et pratiques d’euthanasie]. Outre un hebdomadaire, le Nouvel observateur , les pétitionnaires ont choisi pour interpeller concitoyens et hommes politiques un quotidien régional, et pas n’importe lequel : le Sud-Ouest du 8 mars 2007. On ne se bornera pas à lier l’action judiciaire – en Dordogne – et la région de diffusion du quotidien. L’octogénéisation – que l’on me permette ce néologisme pour décrire la croissance rapide en nombre et en proportion des plus de 80 ans – constitue un défi majeur en Aquitaine. Pour la première fois dans les années 1990 la région a enregistré moins de naissances que de décès.
Nul n’ignore alors la fragilisation de la population liée au vieillissement : « En 1993, année de récession économique, alliant une baisse record du nombre de naissances depuis un quart de siècle et une remontée du nombre de décès dû à un hiver plus rigoureux, on a observé un solde naturel très négatif. […] En 2001, l’Aquitaine enregistre un peu plus de dix décès pour mille habitants, contre à peine neuf pour mille pour la France. Ce taux classe la région à la 17ème place des 22 régions […]. Parmi les départements aquitains aux taux de mortalité élevée, se retrouvent ceux qui affichent aussi le taux de natalité le plus bas. Ainsi le taux de mortalité de la Dordogne atteint 12,8 pour mille, celui de Lot-et-Garonne 11,5 pour mille et celui des Landes 11,3 pour mille. [pour plus de détails, voir l’enquête de l’INSEE ] »
Dans la deuxième partie de son article, Cécile Prieur établit la liste des réactions de présidentiables, comme si la loi actuelle datant du 22 avril 2005 méritait d’ores et déjà un dépoussiérage. S’il fallait réviser tous les deux ans l’ensemble des lois qui régissent notre vie quotidienne, je doute que les deux cessions parlementaires annuelles durent assez longtemps. Quant à l’affirmation de la journaliste – « Sous l'impulsion d'une opinion de plus en plus sensibilisée à la fin de vie, du fait du vieillissement de la population » – je me bats assez, papier après papier consacré à ce thème, pour dénoncer l’évidente illusion et à la contre-vérité flagrante ; rien n’est moins vrai !
Le dernier mot sera géographique. Ce que le législateur français condamne est autorisé dans les pays frontaliers (Belgique et Suisse) ou proche (Pays-Bas). Quelle que soit la prochaine loi – s’il y en a une – elle ne retiendra pas dans leur geste des Français désirant se suicider à l’étranger. Les modifications demandées par les pétitionnaires du Nouvel Observateur et du Sud-Ouest seront selon toutes vraisemblances d’ampleur limitée, mais prendront beaucoup de temps et d’énergie ; autant de choses qui manqueront pour d’autres projets de loi. Bref, on légifère, en semblant s’étonner que le débat reste ouvert. L’euthanasie provoquera toujours des oppositions tranchées. Plus il y a de lois, plus il y a de mœurtres, pour paraphraser Montesquieu !
J'espère qu’un des lecteurs – praticiens du Monde me pardonnera enfin de répercuter son commentaire. Pattrick S.Psychiatre écrit en effet : « Il n'y a plus de place pour la souffrance […]. Les cabinets des psychiatres débordent car c'est encore un lieu ou elle a le droit de cité. Les médecins ont la sagesse de ne pas donner des traitements inutiles quand ils savent que tout est perdu. La demande de mourir est fondamentalement une demande de suicide. Les médecins doivent être les défenseurs de la vie des hommes. L'homme ne peut échapper à sa condition. » Les Français (la réflexion vaut pour tous les habitants du Nord riche et développé) ne doivent pas tourner la tête devant deux évidences : le nombre d’octogénaires explose et avec lui celui des impotents. Quelques suicidés volontaires n’y changeront rien. Rien ne remplace d’autre part la présence d’un proche pour entourer un mourant : l’externalisation des tâches ne fonctionne pas à ce niveau. Il faut entendre la plainte directe ou indirecte des personnels hospitaliers, et ne pas oublier ceux qui accompagnent leur proche définitivement perdu, un vieillard silencieux, un handicapé ou un blessé dans le coma. Le bien ne fait pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien (François de Sales).
PS./ Dernier papier sur le vieillissement : Vieillesse de plume.
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