A l’occasion d’un procès en Gironde présenté comme exemplaire, avant même qu’il ne s’ouvre, Jean Marc Philibert fait un état des lieux des résidences accueillant des personnes âgées en France (ici) Il énumère tous les griefs prononcés contre elles, des simples insuffisances jusqu’aux fautes professionnelles avérées (le mot torture est même prononcé). Il dresse un réquisitoire et laisse peu de place aux circonstances atténuantes. Mais en ne tempérant pas son propos, il perd paradoxalement un peu de sa force de conviction. Son article est complété par celui d’Agnès Leclair en forme d’auto-justification des directeurs de résidence (ici).
Si l’on s’en tient aux titres, une sorte de ligne de fuite se dégage. Les personnes âgées (prises dans leur globalité) formeraient le camp des victimes, avec à leurs côtés les familles éplorées. Mis en demeure, les directeurs de maisons de retraite rétorquent qu’ils manquent de moyens ; les mauvais traitements apparemment si courants dans leurs institutions relèveraient uniquement d’un manque de personnels et découleraient de problèmes budgétaires. Si l’on manque de personnels, c’est parce que les salaires restent bas. Si les effectifs sont au complet, il reste le prétexte des qualifications insuffisantes : un diplôme pour l’amabilité, un brevet pour la gentillesse ? Au bout de la chaîne des responsabilités successivement défaussées arrive la société – tout le monde, c'est-à-dire personne – et pour finir l’Etat… Qui ne porte pourtant pas la responsabilité de ce dossier ! Car depuis les lois de décentralisation, les conseils généraux assurent la gestion des structures d’accueil des personnes âgées.
Mais reprenons l’argumentaire de Jean Marc Philibert : « Officiellement, seuls 5 % des 10 500 établissements feraient l'objet de signalements. Cela concernerait tout de même plus de 32 000 pensionnaires, victimes potentielles de pratiques allant de la privation de nourriture aux coups et blessures. […] Gavage, gifles, coups, punitions des récalcitrants... […] c'est la maltraitance ordinaire. Une maltraitance faite de petites humiliations, de vexations, de privations ou de méchancetés qui souvent ne répondent à aucune qualification juridique. » Mais que signifie cette généralisation ? Certes « Il n'y a pas de loi pour interdire qu'on parle mal à nos grands-pères, qu'on les oblige à manger froid des bouillies innommables ou qu'on les laisse mouillés pendant des heures parce qu'ils sont incontinents. » Mais qui corrige les taties Danielle considérant les personnes de service comme leurs propres domestiques ? Existe-t-il une loi pour punir les vieillards lubriques, les viragos, les avares qui hurlent au voleur sans raison, ou encore contre les dénigreurs, geignards et autres langues de vipère ?
En France, le manque de structures conduit à un déséquilibre de l’offre par rapport aux demandeurs. « De fait, les maisons de retraite indélicates sont en position de force pour exercer un chantage de ce type. Alors que 644 000 personnes sont aujourd'hui en institution, on estime à 280 000 le nombre de places manquantes. Dans ces conditions, les familles préfèrent parfois fermer les yeux plutôt que de se retrouver avec un parent malade ou dément à la maison. Un embarras que partagent les autorités. Conseils généraux et services de la Ddass, responsables de la prise en charge des personnes âgées ne peuvent pas se permettre de fermer un nombre trop important d'établissements.
[…] ‘Il nous faut recruter 40 000 professionnels par an pendant dix ans pour couvrir les besoins dans les métiers médico-sociaux’, avoue-t-on au cabinet de Philippe Bas [le ministre]. Mais on en est loin. Aujourd'hui, seules cinq à six personnes encadrent dix résidents en France alors qu'ils sont douze pour dix en Allemagne. En cause, un métier mal payé, à l'image ingrate. » Mais qui forge cette image, si ce n’est les médias prompts à décrire les maisons de personnes âgées comme gérées par des équipes de sans-cœur, bourreaux et tortionnaires ? Les donneurs de leçons sur les couches remplies, les odeurs lourdes et les cœurs gros de solitude visitent-ils les personnes âgées ? Le meilleur des mondes n’existe pas, où l’espérance de vie continuerait de s’allonger sans dégénérescence, sans incontinence, et sans douleur.
La majorité des Français ne voient pas que les recettes choisies finissent en impasse. Par anticléricalisme et par idéologie technicienne, les congrégations religieuses ont été combattues en France ; elles illustraient pourtant l’idée que l’aide aux plus vieux et au plus fragiles relève d’un apostolat bien difficile à évaluer (en terme de diplômes) et à rémunérer. En lieu et place, la puissance publique a pris en charge les personnes âgées et handicapées, la collectivisation des coûts maintenant la population dans une insouciance durable. Mais les coûts grimpent désormais de telle façon qu’il est plus difficile de les ignorer. Le nombre d’octogénaires croît à grande vitesse : la décennie des années 1920 compte en comparaison beaucoup plus de personnes que la décennie précédente, la guerre 14 – 18 ayant concouru à tasser les effectifs, par le déficit des naissances.
Compte tenu de la dégradation de l’assistance publique, les octogénaires les plus riches entrent en institution privée. Jean-Marc Philibert le confirme. « Preuve que le métier est d'avenir, les groupes privés, eux, se précipitent dans le secteur et multiplient les ouvertures d'établissements. Il faut dire que, selon le magazine Capital, ils ont multiplié par dix leurs profits entre 1998 et 2005. Pas étonnant : le marché connaît une croissance exponentielle. Les personnes de plus de 85 ans seront 1,9 million en 2015, contre 1,1 million en 2005. » Est-ce pour autant l’assurance qu’une fois tombée, la personne accidentée ne passera pas la nuit sur le carrelage ?
Il n’y au fond qu’une certitude, qui touche à la question des coûts. Tout comme les offices HLM creusent leurs déficits en perdant des locataires solvables (parce qu’en limites supérieures de revenu), la concentration de personnes âgées à faibles revenus bloque toute chance de trouver un équilibre budgétaire dans les différentes structures publiques d’accueil. Un des interlocuteurs d’Agnès Leclair souligne à ce propos que le prix à payer pour une place en maison est de 1.600 euros par mois ; or « la retraite moyenne s'élève à 1 100 euros, voire à 800 euros pour les femmes. » Est-il juste de mettre sur un pied d’égalité fourmis et cigales, qui n’ont mis aucun argent de côté en prévision de leurs vieux jours ?
En dernier recours, comme le souligne l’un des interlocuteurs d’Agnès Leclair, le système public en arrive même à tolérer malgré lui une concurrence interne avec les hôpitaux. Pour les personnes les plus âgées, celles réclamant des soins intensifs parce que clouées sur leur lit ou celles dont l’état se dégrade petit à petit, les maisons ne retiennent pas leurs pensionnaires. Elles poussent au contraire à des hospitalisations de longue durée qui soulagent leurs charges, la facture finale allant au contribuable. Mais les familles ne trouvent rien à y redire : « À l'hôpital, on paye environ 1 % du prix du séjour, contre 60 % en maison de retraite. »
Henri Troyat, mort dimanche 4 mars à 95 ans et le stylo à la main fait finalement partie de ces hommes qui montrent le chemin ; Troyat ou la vieillesse de plume… François Mitterrand résume d’une phrase lors de sa dernière allocution présidentielle le 31 décembre 1994, ce combat si personnel contre la maladie et la vieillesse : « je crois aux forces de l’esprit. »
P.S./ Dernier papier sur le vieillissement : Vieillissement en Extrême-Orient.
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