vendredi 25 juin 2010

Pour mourir sans frais, mourons cachés. (De la mortalité infantile, des réformes hospitalières, et du vieillissement)

Le taux de mortalité infantile fait référence au nombre d'enfants décédés avant l'âge d'un an, rapportés au nombre total de naissances. En France, l'Ined l'évalue à 3,7 pour 1.000 en 2006. Ce taux dépassait légèrement 18 pour 1.000 en 1970. Au cours des trois dernières décennies, le nombre des nourrissons morts après la naissance a donc été divisé par cinq, une révolution silencieuse dans les maternités, grâce à l'amélioration des savoirs, des compétences et des matériels, mais aussi à cause de la fermeture des maternités obsolètes. Leur nombre a fondu, comme le rappelle un récent article du Monde, passant de 1.747 à 589 entre 1972 et 2007.
La mortalité infantile touche encore inégalement la population, avec des disparités régionales, et plus encore départementales. Ce tableau – bilan de 2005 (Tx Mté / 3,5 pour 1000) en témoigne. Onze régions administratives se situent au-dessus de la moyenne nationale : la Picardie (3,6), le Nord Pas-de-Calais (3,7), Champagne – Ardennes (3,7), la Corse (3,8), la Franche-Comté (3,8), l'Aquitaine (3,8), l'Ile-de-France (4,0), la Haute Normandie (4,1), l'Alsace (4,1), l'Auvergne (4,2), et la Lorraine (4,5). Les DOM – TOM arrivent un peu après, la Guyane occupant la dernière place (10,7 pour 1.000). Si l'on prend les vingt départements métropolitains pâtissant de la plus forte mortalité infantile (à plus de 4 pour 1.000, tout est relatif !) une dominante rurale se dégage : le Doubs (4), le Maine-et-Loire (4,1), l'Essonne (4,1), le Gers (4,2), le Calvados (4,2), les Hautes-Pyrénées (4,2), la Seine-et-Marne (4,3), le Val d'Oise (4,3), le Bas-Rhin (4,4), le Tarn (4,4), l'Aveyron (4,4), la Moselle (4,5), le Vaucluse (4,5), la Haute-Corse (4,6), la Haute-Saône (4,6), l'Eure (4,6), la Creuse (4,7), les Landes (4,8), les Vosges (4,9), la Haute-Marne (4,9), la Somme (5), le Lot-et-Garonne (5,1), la Nièvre (5,2), la Seine-Saint-Denis (5,3), le Puy-de-Dôme (5,5) et la Meuse (6).
Mais il importe de ne pas isoler trop vite les campagnes. Dans la liste figurent en effet plusieurs départements franciliens, à l'exception de ceux dans lesquels résident en moyenne les ménages les plus aisés (Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines). La présence des départements plus populaires tendrait à démontrer le lien entre niveaux de revenus et mortalité infantile. Il faudrait des données chiffrées complémentaires pour l'affirmer. Plusieurs agglomérations de plus de 100.000 habitants se retrouvent en outre indirectement concernées : Besançon, Angers, Caen, Strasbourg, Metz ou encore Clermont-Ferrand. Toutes sont préfectures dans des départements cités plus haut et étendent leur influence au-delà des limites départementales : Strasbourg sur l'Alsace, ou Caen sur la Basse Normandie. C'est une ruralité bien contestable...
Plus surprenant encore, quatorze des quinze départements bénéficiant de la plus basse mortalité infantile (inférieure à 2,5 pour 1.000) sont à dominante rurale, sans métropole majeure, en dehors de Brest (Finistère) : la Lozère, la Vendée, la Corrèze, l'Ardèche, l'Orne, la Dordogne, le Finistère, les Côtes d'Armor, les Deux-Sèvres, la Charente, les Hautes-Alpes, l'Aude, le Jura, la Sarthe et l'Aisne. Rien n'est simple. Néanmoins, malgré l'hétérogénéité des situations, une réforme hospitalière se prépare, comme le révèle le Monde (voir plus haut). L'auteur – qui cite une étude de la Fédération Hospitalière de France – précise dans le titre son caractère impérieux : « une nécessaire restructuration » qui réduit à peu de chose les excellentes données sanitaires mises en exergue...
La mortalité infantile a quasiment disparu ? « 52 % des établissements de soins hospitaliers présentent des critères de vulnérabilité dans les spécialités de chirurgie et d'obstétrique. » Les rapporteurs jugent leur activité insuffisante, leurs personnels trop vieux ou leur implantation trop rurale. D'après eux, l'hôpital public est « de plus en plus menacé par un secteur privé offensif ». En complète contradiction, ils admettent pourtant que sur la totalité des établissements visés pour vulnérabilité, près de la moitié appartiennent au privé. Ainsi, « le secteur public est majoritaire (62 %) dans les maternités qui réalisent plus de 1 500 accouchements par an. En revanche, la répartition public-privé est à peu près identique dans les maternités effectuant moins de 1 000 naissances. » Obéissant à des impératifs de santé publique, les structures publiques ont donc mieux su s'adapter, faisant peu de cas de la prétendue toute-puissance du privé.
Davantage qu'une concurrence entre secteurs, Michel Delberghe évoque surtout le bouleversement produit par une réforme récente du financement public desdits établisements. Par la loi de décembre 2003, la tarification à l'activité (T2A) a remplacé un système de dotation globale créé vingt ans plus tôt, que l'on accusait d'être inadapté et bureaucratique [voir ici]. Rétribués en fonction du nombre d'actes, les hôpitaux privilégient ce qui rapporte, l'intervention qui ne bloque un lit que quelques heures (dite ambulatoire), de préférence très maîtrisée. Michel Delberghe cite quelques exemples d'opérations, sur les grains de beauté, la cataracte, les dents de sagesse, ou les amygdales... Les hôpitaux cherchent en revanche à se débarrasser des charges soudain considérées comme insupportables : opérations nécessitant personnels et matériels, débouchant sur des séjours longs. Les perdants fermeront boutique. Sont en particulier visées les maternités procédant à moins de 1.000 accouchements et les unités chirurgicales à moins de 4.000 opérations. Il reste à déterminer si le gain escompté ne produira pas de surcoût.
C'est à cette aune qu'il faut mesurer la percée du secteur privé, qui assure 58 % des séjours pris en charge (3 sur 5,2 millions), mais une minorité d'actes lourds : le financement public ne valorise plus les hôpitaux remplissant une mission de service public (certes assez difficile à définir), mais renforce un nombre restreint d'unités. Dans cette course aux activités les plus rentables, le lien avec les besoins des malades disparaît des préoccupations. Mais les pathologies délicates et les opérations compliquées ne disparaissent pas pour autant.
Pour ne rien arranger, les médecins hospitaliers parviennent en grand nombre à l'âge de la retraite. Cette situation résulte directement d'une autre fâcheuse réforme, l'instauration par le gouvernement d'un numerus clausus en fin de première année de faculté de médecine. Il y a un quart de siècle, on craignait un surplus de médecins, et on espérait également par la même occasion contenir les dépenses de santé. Ce qui arrive résulte d'un décalage des promotions de médecins artificiellement resserrées. La FHF recommande donc de faire appel à la médecine libérale qui souffre cependant du même vieillissement : et les intéressés déjà assommés de charges et de directives les plus diverses se porteraient volontaires ?
Cette réforme tombe enfin en plein vieillissement de la population, alors que le nombre des personnes âgées et médicalisées augmente rapidement. On dénombrait 200 centenaires en France en 1950, 5.000 en 1995, 16.000 en 2005 (165.000 en 2050 ? / Quid) Centenaires ou non, la majorité des vieillards impotents meurent à l'hôpital, et non plus chez eux. Michel Delberghe relève qu'une spécialisation en unités de soins de suite pour les plus âgés et les moins mobiles pourrait sauver des hôpitaux de la fermeture. Mais la clientèle potentielle vit en région parisienne et dans les grandes aires urbaines tandis que les structures menacées de fermeture sont rurales. Cela impliquera une deuxième externalisation : pour mourir sans frais, mourons cachés.

PS./ Dernier papier sur le vieillissement : Dûr soleil méditerranéen contre doux hivers nordiques.

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