vendredi 25 juin 2010

Que la Marne en furie dévale dans la Seine… (Des conséquences d’une crue centennale ‘type 1910′ dans le Val de Marne)

Retenons l'hypothèse d'une crue de la Seine et de la Marne équivalente à celle de 1910. L'eau submergerait vingt-quatre communes du Val de Marne (1). Elle recouvrirait en moyenne 20 % de leur superficie, avec une épaisseur d'eau comprise entre 50 centimètres et 2 mètres. Si l'on retient l'estimation de 230.000 à 300.000 personnes, le Val-de-Marne arriverait probablement en tête des départements sinistrés d'Ile-de-France. [source]
Dans le dernier numéro des Annales de Géographie (n°657 / P.470 – 492 / Le risque d'inondation dans le Val-de-Marne : une territorialisation impossible ?) Stéphanie Beucher donne de précieux renseignements sur la perception du risque par la population. Imposés par le ministre de l'environnement de l'époque (Michel Barnier) à l'ensemble des communes françaises concernées, les Plans de Prévention des Risques d'Inondation (PPRI) datent de 1995. Celui du Val-de-Marne est approuvé en juillet 2000 mais rencontre dans les mois suivants de puissantes oppositions. L'auteur décrit à cette occasion le télescopage des échelons administratifs, trop lointains (agence de l'eau), mal qualibrés par rapport à la géographie physique d'un bassin – versant (région et département), ou mal préparés à l'action concertée (les communes).
Les opposants discutent de la crue de référence (1910, 1658, etc...) et les résidents – hormis les riverains immédiats de la Seine et de la Marne - réfutent la réalité d'une menace qui s'étend jusqu'à plusieurs centaines de mètres des cours d'eaux. « Une partie [des populations riveraines] connaissent le risque, soit parce que leur habitation est un bien hérité de leur famille qui a connu les crues du XXème siècle [...], soit parce qu'elles ont elles-mêmes vécu des crues de faible ampleur [...]. Toutefois, d'autres habitants vivant en bord de fleuve, n'ont pas conscience du risque. [...] Les Services de la navigation de la Seine disent recevoir des appels de riverains de la Marne et de la Seine, pour savoir si les barrages, qui sont là pour régler le niveau d'eau pour la navigation, les protègent bien des inondations. » [P.479]
La contestation naît des hachures, ou des couleurs recouvrant tel ou tel quartier sur la carte du PPRI. On s'indigne d'un classement en zone urbaine dense en aléas fort et très fort parce qu'il implique un gel des projets d'aménagement (exemple du projet Seine Amont Développement), ou parce qu'il remet en cause l'habitation de certaines portions des berges ou des îles de la Marne. Des associations ont même gagné à leurs causes des élus locaux et obtenu des modifications, allant jusqu'à porter leurs affaires devant le Conseil d'Etat : la commune de Joinville pour l'île Fanac, classée en rouge / interdiction de reconstruction après sinistre.
Internet offre une tribune aux adversaires des politiques publiques de prévention. Dans cet exemple l'auteur admet certes le précédent de 1910, mais en rappelant que l'inondation n'a tué personne, habile stratagème pour minimiser le danger. Face à ce risque, les particuliers, éternels victimes et incompris, doivent assumer matériellement et financièrement leur protection individuelle (par exemple, des compteurs élecriques à rehausser) tandis que l'Etat omet de construire des digues et barrages. Là se trouve l'attaque principale : le programme de construction de barrages sur le bassin-versant de la Seine reste incomplet, avec un peu plus d'un tiers des objectifs réalisés. Ils n'écrêtent que soixante centimètres d'une crue type 1910 ? « 60 centimètres, cela représente un peu partout dans le Val de Marne des milliers d'habitations préservées. » L'auteur se garde bien de préciser dans quelle portion de la vallée de la Seine ou de la Marne il préconise l'érection de nouveaux barrages, et il se tait également sur leur mode de financement. Selon toutes probabilités, il espère que la collectivité nationale prendra en charge les travaux, celle-là même qui a financé les infrastructures à la base du décollage démographique du Val de Marne. Les experts consultés sur le sujet balancent eux-mêmes entre des recommandations générales et irréalisables (le rétablissement des zones naturelles d'expansion et la maîtrise de l'urbanisation) et des objectifs plus précis : réduire la vulnérabilité de l'existant...
Stéphanie Beucher s'appuie dans son article [j'y reviens], sur la commune de Villeneuve-le-Roi pour montrer que le zonage restreint l'urbanisation en zone inondable, même lorsque le projet tient compte des contraintes spécifiques des lieux : ici, un quartier de maisons sur pilotis respectant les critères de Haute Qualité Environnementale. L'auteur laisse malheureusement de côté cette contradiction majeure des communes inondables. L'interdiction de toute construction dans les secteurs menacés garantirait seule l'absence de dommages : 0 habitant = 0 risque. Or cette interprétation intégriste va à l'encontre d'une bonne gestion municipale. En accompagnant ou en encourageant la croissance démographique, les maires ont en tout cas donné de la substance au risque d'inondation dans le Val de Marne.
Les plus grosses communes du département témoignent d'un croît démographique rapide. Créteil compte douze fois plus d'habitants aujourd'hui qu'à l'époque de la grande crue : 88.500 (estimations Insee / 2005) contre 7.500 en 1914. Vitry-sur-Seine compte cinq fois plus d'habitants aujourd'hui qu'à l'époque de la grande crue : 82.000 habitants (id.) contre 15.000 habitants en 1911. La population de Saint-Maur-des-Fossés a plus que doublé : 75.500 (id.) contre 34.000 habitants en 1911. Champigny-sur-Marne compte sept fois plus d'habitants : 75.000 (id.) contre 10.500 en 1911. Maisons-Alfort compte trois fois d'habitants : 54.000 habitants (id.) contre 16.500 habitants en 1911. Ivry-sur-Seine, enfin, avec 38.500 habitants en 1911 a connu une croissance plus modérée (56.000 habitants en 2005).
Avant même les autoroutes et les lignes RER, le chemin de fer a permis le développement d'une banlieue d'abord appréciée pour ces lieux de pique-niques et de promenades dominicales chantés ou portés à l'écran. Créteil accueille à partir de 1970 une nouvelle université, symbole du développement tertiaire du département, tandis que les industriels trouvent autour de Rungis ou de l'aéroport d'Orly le support d'une activité dynamique. Plus les activités se multiplient, plus le coût d'une inondation centennale s'alourdit. L'effort collectif conduit dans le même temps à l'imprévoyance individuelle. Comme dans l'exemple de Maisons-Alfort (ici et ) le pavillon inondable domine en effet, potentiellement submergé avec l'élévation du niveau de l'eau de la Seine. Et pourtant, en 1910, Maisons-Alfort était sous l'eau.
PS./ Dernier papier sur le risque d'inondation : Déjouer les tours du sort.

(1) Ablon sur Seine, Alfortville, Bonneuil sur Marne, Bry sur Marne, Champigny sur Marne, Charenton le Pont, Chennevières sur Marne, Choisy le Roi, Créteil, Ivry sur Seine, Joinville le Pont, Le Perreux sur Marne, Limeil – Brévannes, Maisons-Alfort, Nogent sur Marne, Orly, Ormesson sur Marne, Saint Maur-des-Fossés, Saint-Maurice, Sucy en Brie, Valenton, Villeneuve le Roi, Villeneuve-Saint-Georges, Vitry sur Seine.

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