vendredi 25 juin 2010

Steack haché cerise (Sur l’immobilier américain qui va mal, et sur l’immobilier français qui va bien)

Dans son supplément économie destiné à ses abonnés, le Monde du 6 novembre tient au sujet des incertitudes pesant sur le secteur de l'immobilier en Europe et outre – Atlantique, un double discours. Les Etats-Unis affronteraient une crise d'une extrême gravité d'une part, tandis qu'en France, les bénéfices réalisés par les professionnels de la banque et du bâtiment s'envoleraient. Un analyste de la Société Générale donne un éclairage sur la situation américaine. Ne reculant devant aucun qualificatif, Loïc Brient dramatise, même s'il s'en défend d'une phrase. « Pour l'heure, nous sommes encore loin d'un scénario de récession » : ralentissement de la croissance jusqu'à la fin de 2008, turbulences boursières et pression inflationniste s'associent. Depuis 2005, année de l'apogée de l'investissement résidentiel aux Etats-Unis, le nombre de permis de construire et de mises en chantier ne cesse de diminuer. Longtemps laxistes sur leurs conditions d'attribution, les organismes bancaires délivrent désormais parcimonieusement les prêts immobiliers aux Etats-Unis, ce qui contribue à accélérer la baisse des prix. Selon l'analyste, les ménages nord-américains consomment moins et le rythme de création des emplois ralentit.
Tant d'affirmations laissent interrogatif, compte tenu des arguments avancés deux ans plus tôt sur la puissance de la première économie mondiale ; si la crise date du dernier trimestre de 2005, qu'a t-on attendu pour s'en apercevoir ? En 2007, le prix médian d'une maison atteint 224.000 dollars, c'est-à-dire 154.000 euros [source]. Même si les statistiques précises manquent pour la France, en partie à cause des distinctions entre logements anciens et neufs, le prix médian des maisons s'approche de la barre des 200.000 euros (c'est-à-dire de 10 à 20 % au-dessus des moyennes américaines / source). Dans la grande couronne parisienne, le prix moyen est de 288.000 euros et en petite couronne, 341.000 euros (source). En 2005, le PIB par Américain et par an dépasse pourtant 40.000 dollars contre un peu plus de 30.000 dollars en France. En outre, la population française croît beaucoup moins vite (0,4 contre 0,6 % d'augmentation annuelle) que la population américaine (voir ici).
Mais en France, selon le Monde déjà cité, le premier groupe immobilier intégré français affiche une santé de fer. Nexity frisera probablement les deux milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2007, en hausse de 27 % pour les neufs premiers mois de l'année. La société s'appuie sur un carnet de commande bien rempli, correspondant à environ un an et demi d'activité, autant dans le logement privatif que dans le secteur des bureaux. A la suite de la signature d'un accord de partenariat, le Groupe Caisse d'Epargne possède 38,2 % du capital de l'ensemble. Une publicité en quatrième de couverture du magazine L'info – métropole (il s'agit de l'agglomération rennaise) montre que Nexity place haut ses ambitions, et vise un large public : « Les pieds dans l'eau... ou aux portes de Rennes ? » peut-on lire dans le titre. La publicité indique que le groupe a investi le littoral nord de la Bretagne (Pleumeur-Bodou, Fréhel, Perros-Guirec, Dinan et Trébeurden), plutôt dans des programmes d'immeubles que de maisons individuelles... (Aucun bord de mer n'échappe à cette tendance en France). Il cherche à séduire à la fois les futurs propriétaires comme les simples investisseurs, les habitants à l'année comme les acquéreurs d'une résidence secondaire. Autour de Rennes, lotissements et appartements pleins de charme baignent dans la verdure et un environnement paisible... le tout, avec caractère et sens de l'exceptionnel, comme l'affirme la réclame.
Pour tout dire, le magazine rennais évoqué plus haut regorge d'encarts vantant les mérites de tel ou tel programme immobilier. A lui tout seul, il illustre l'idée selon laquelle le secteur du bâtiment traverse une période faste. Tant de publicités provoqueraient presque les soupçons. Les candidats à l'achat hésiteraient-ils avant de s'engager ? Page 9, le cabinet Martin ne présente pas moins de dix programmes différents, dont seulement deux sur la commune de Rennes. Dans huit cas sur dix, il s'agit de petits collectifs sur trois niveaux, comprenant des appartements de petite taille (T3 maximum). Respectivement pages 10 et 30, Aiguillon résidence et Groupe Arc – promoteur constructeur proposent le même type de biens collectifs, dont la localisation nécessite l'utilisation de la voiture : d'où la notification systématique des garages. Des constructeurs de grosses cylindrées présentent à ce sujet leurs dernières voitures dans la revue, dont un 4 x 4 prometteur : « Explorez les limites de la ville. » Page 13 et 21 deux autres publicités signalent enfin la construction de lotissements pavillonnaires plus traditionnels mais tout aussi lointains. Et pour le lecteur distrait, la rédaction consacre une double page à l'accession aidée !
En résumé, tout va très bien madame la Marquise : l'immobilier grimpe, les promoteurs se frottent les mains, les accédants vont accéder et l'Info métropole n'oublie pas l'autre urgence du moment. Je laisse la parole pour la conclusion à la Maison de la Consommation et de l'environnement. Le manifeste du moment s'intitule « la viande fait des gaz ! » et commence ainsi : « Notre mode de vie engendre des émissions de gaz à effet de serre en quantité largement supérieure à ce que la planète peut recycler. Conséquence: le climat se réchauffe ou plutôt se dérègle. Prenons le cas d'un steack haché congelé. » S'ensuit un ennuyeux développement pour instruire le béotien sur ce qui ne va pas dans ce morceau de viande. Et l'auteur anonyme de terminer : « mieux vaut l'échine du porc bretonne achetée au bourg chez le boucher, plutôt que le steack bio autrichien congelé et suremballé du supermarché. » La cerise sur le gateau !

PS./ Dernier article sur la bulle immobilière : Placements en bulle.

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