jeudi 24 juin 2010

Timor : timeo imperium (de la situation au Timor Leste, ex province indonésienne)

Francis Deron prétend couvrir l’actualité du Timor Leste (oriental) pour le Monde à partir de Bangkok : il paraît donc utile de commencer ce papier par le rappel des distances. L’île de Timor, ancienne province indonésienne se situe en effet à l’extrême sud-est de l’Insulinde. Sous ce terme générique, on englobe généralement les îles du sud-est asiatique situées entre l'Asie et l’Australie. Cet ensemble est très hétérogène (en populations, langues et religions) et s’étend sur une surface supérieure à celle de l’Europe : 4.000 kilomètres du nord (Philippines) au sud (Timor), et 6.000 kilomètres de la pointe nord-ouest de Sumatra à la mer de Salomon (Papouasie et Nouvelle-Bretagne). Plus de 3.500 kilomètres séparent Timor de la Thaïlande d’où écrit le journaliste, la même distance qui sépare Paris de Bagdad !

Pour en revenir au Timor Leste, les autorités indonésiennes ont elles-mêmes pêché par excès d’assurance après le départ des Portugais en 1975. Au nom d’une idéologie colonisatrice et impérialiste – l’Indonésie, une et indivisible – elles ordonnent l’occupation militaire de la partie ex portugaise de Timor, en négligeant ce qu’impliquait une guerre coloniale à 2.000 kilomètres de Jakarta. L’ancienne colonie lusophone et catholique s’étend sur 14.000 km², avec une partie centrale montagneuse : un peu moins de la moitié de l’île (avec une enclave de 815 km² dans la partie occidentale) ; l’équivalent de trois à quatre départements français. Treize ans plus tôt, l’armée française reçoit la mission de pacifier l’Algérie en mobilisant près d’un million d’hommes ; elle y parvient non sans peine, mais il n’y a que 800 kilomètres de Méditerranée à traverser pour rallier le port d’Alger au départ de Marseille…

A Timor, la tâche excède les capacités d’un armée indonésienne, dès le départ fraîchement accueillie. « Face aux difficultés de transport et à la fuite des populations effrayées par la violence du traitement réservé sans distinction à tous les Timorais, la situation s’enlisa. Un an après le début de l’offensive, l’armée indonésienne ne contrô­lait guère que les villes à proximité des principaux axes de communication. Ses forces montèrent à 32 000 hommes, soit plus de 10 % de ses forces sur un territoire correspondant à seulement 0,7 % de la superficie de l’archipel, ce qui correspond à un homme en arme pour une vingtaine de Timorais. » (Frédéric Durand)

Les massacres (200 000 morts / un quart de la population de l’île ?), l’utilisation de la torture, l’épuration ethnique et / ou religieuse ont ensuite ponctué l’histoire de l’île, y compris après l’ultime reculade de Jakarta et sa reconnaissance tardive de l’indépendance du Timor Leste (voir ici). Six ans après le départ des Portugais, Frédéric Durand estime qu’« en se fondant sur l’hypothèse basse à partir des données indonésiennes de 1981, onze des treize districts ont perdu une part très importante de leur population. Certains d’entre eux comme Ailieu, Cova Lima ou Liquiça connaissent une diminution de 40 à 60 %. » (Op. déjà cité). L’armée indonésienne met en coupe réglée les terres agricoles (riz, café, cocotiers), les forêts (bois de santal et tecks) et les ressources minières (marbre ou pétrole).

N’ayant pas les moyens militaires pour s’imposer sur place, les autorités indonésiennes ont cherché à affaiblir la résistance timoraise en la divisant, en ravivant les vieilles fractures internes (aujourd'hui non refermées). Invoquant des arguments nauséabonds d’espace vital, elles incitent des Javanais musulmans, mais également des insulaires venus de la partie occidentale, à venir s’installer au Timor en expropriant à tour de bras les autochtones classés comme récalcitrants ; les Timorais doivent en effet demander la nationalité indonésienne après l’occupation de 1975, s’ils souhaitent voir leurs droits de propriété respectés. Dans le discours officiel, il s’agit de transmigrations : de là à prétendre qu’elles sont naturelles…

Au moment où les événements se précipitent, à la fin des années 1990, l’armée indonésienne maintient encore 18 000 hommes dans l’île, c'est-à-dire un corps d’armée doté d’une vingtaine de régiments (un sixième de l’armée de terre française en 2007). Peut-on vraiment parler de bénéfices dans ces conditions ? Tout porte à croire que la charge financière dépasse les capacités financières du pays. Comme ailleurs, en Afrique, l’armée a alors recours à des miliciens (20 000 en 1998 ? / cf Durand) exécuteurs de basses œuvres ; or celles-ci ne manquent pas. Avant l’indépendance proclamée à la fin 2001, une partie de la population subit même une déportation visant à fausser les résultats du référendum d’auto – détermination. Les nations occidentales finalement impliquées dans le processus annihilent cependant ce dernier coup tordu…

Plus de trente années ont passé depuis le départ des Portugais, et les Timorais éliront le 9 avril, leur deuxième président depuis l’indépendance. Le Monde rappelle que la situation de l’île demeure précaire… Elle le serait encore davantage sans l’armée australienne dépêchée sur place. Canberra avait pourtant reconnu l’occupation de l’ancienne colonie portugaise par l’armée indonésienne dès la fin des années 1970, afin d'obtenir des droits d’exploitation sur le pétrole off-shore timorais. L’intérêt économique reste sans nul doute présent à l’esprit des autorités australiennes ; mais est-ce si choquant, puisqu’en retour les Timorais bénéficient d’une protection ?

800 Australiens et 120 Néo-Zélandais participent à une opération conjointe « à 50 km dans les montagnes au sud de la capitale, Dili, pour mettre la main sur le chef rebelle Alfredo Reinado. Celui-ci s'était enfui, en août 2006, de la prison centrale à la faveur d'une mutinerie. Le président Xanana Gusmao a demandé aux forces australiennes, présentes à Timor depuis les troubles du printemps 2006, de capturer le rebelle, qu'il a accusé d'un raid commis au cours du week-end des 24 et 25 février contre un poste de police pour en voler les armes. » L’assaut contre les positions du major rebelle est lancé le 3 mars.

En s’en étonnant (?), le journaliste fait état d’un fort ressentiment entre « les deux principales composantes de la population, ‘ceux de l'Ouest’ et ‘ceux de l'Est’. » Compte tenu des rappels précédents cela ne devrait guère poser de problème de compréhension ! Le président actuel souhaite de toutes façons quitter ses fonctions, en accord avec son premier ministre Ramos Horta (les deux hommes ont partagé le prix Nobel de la paix en 1996). Ils tiennent Mari Alkatiri, premier ministre jusqu'en 2006, leur ancien comparse et dirigeant principal du Frente Revolucionaria do Timor Leste Independente (Fretilin) pour responsable de la crise actuelle.

Mais au-delà, qu’en est-il du pouvoir indonésien, impliqué semble-t-il, mais désormais oublié de l’analyste ? Il a perdu la partie même s'il reste maître de l’ouest de Timor, s’est discrédité (malgré le soutien de Washington pour cause de combat contre le communisme – vs Fretilin), et a poussé l’armée à la faute ; depuis s'est ajouté le fiasco de Sumatra. Dans cette affaire, l’Etat déjà détesté pour l’incurie et la corruption de ses fonctionnaires (voir les affaires récentes de ferry coulé dans la baie de Jakarta et du volcan de boue) a dilapidé en vain l’argent public, alors qu’une partie de la population indonésienne manque de tout : on note à Jakarta qu’une fois encore, nationalisme vaniteux et impérialisme vain se conjuguent… Timor : timeo imperium !

PS. / Dernier papier sur l’Indonésie : Un rhinocéros au-dessus du Pacifique.

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