Dans un article déjà un peu ancien du Figaro, un journaliste ne signant que par ses initiales (O.A.) se fait l’écho des doléances exprimées par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Ses instances dirigeantes appellent de leurs vœux un relèvement du nombre d’étudiants en faculté, considérant que l’on manque de pharmaciens en France. Il existe depuis 1971 – pour qui l’ignorerait encore – un numerus clausus publié au Bulletin Officiel [voir ici, par exemple, en 1998] et décidé en concertation avec l’Ordre des pharmaciens. Par cette mesure malthusienne, le nombre de praticiens ne peut excéder la barre fixée à l’avance. Cela permet d’écarter les candidats peu sérieux et de garantir aux heureux élus une formation de qualité : par rapport au nombre d’enseignants, à la taille des amphithéâtres, au nombre de stages possibles en officine ou à l’hôpital. Un concours en fin de première année de faculté de pharmacie concrétise ce numerus clausus.
Les effets négatifs de cette mesure n'ont pas manqué. L’Etat détermine en France un niveau minimal de connaissances, sans prise en compte de ce qui prévaut dans les autres pays de l’Union européenne, nombre d’entre eux n’imposant aucun numerus clausus. Autorisera-t-on un pharmacien polonais à ouvrir boutique dans l’Hexagone s’il en fait la demande ? Autre reproche formulé, le numerus clausus aggrave les problèmes de recrutement. Dans les années 1970, la corporation craignait sans doute la hausse du nombre des inscriptions en faculté de médecine. Mais elle a négligé la perspective d’un vieillissement de la population française – augmentation du nombre des catégories les plus âgées et les plus gourmandes en prescriptions – autant que les découvertes liées à la recherche pharmacologique et médicale, celle-ci élargissant la gamme des médicaments disponibles.
Concernant les effectifs, le numerus clausus provoque un effet immédiatement positif en bloquant à la porte du concours des étudiants dont personne n’a besoin dans les années 1970. L’effet négatif intervient une trentaine d’années plus tard, parce que les besoins (voir plus haut) ont fortement progressé, comme toute politique ciblée sur l’offre sans prise en compte de la demande. Les pharmaciens formés avant 1971 partent en grand nombre à la retraite, avec l’impossibilité – numerus clausus oblige – de les remplacer à effectif équivalent. L’article évoque une augmentation du nombre de pharmaciens à hauteur de 575 par an dans les dernières années.
Qu’a gagné la corporation des pharmaciens dans cette réglementation malthusienne dont elle se garde bien de demander la suppression ? A sa création dans les années 1970, le numerus clausus provoque un effet d’appel, transformant les études de pharmacie, à l’instar de la médecine en voies d’excellence : plus le concours bloque d’étudiants à la porte de la deuxième année de faculté, plus cette perspective attire de candidats. Derrière l’effet psychologique dont je n’analyserai pas ici les ressorts, se cache un effet de mécanique économique. En limitant le nombre de diplômés de pharmacie, la corporation gère au milieu de l’intérêt de ses adhérents le monopole officiellement garanti par l’Etat. Des bénéfices grandissants repartis entre un nombre stable de pharmaciens signifient des revenus chaque année plus importants. Quel bénéficiaire s’en plaindra ?
« ‘Notre profession continue de se féminiser, et ce n'est pas un problème. Elle continue aussi de vieillir, et ça, c'est un problème.’ » Cette affirmation d’un représentant du Conseil de l’ordre des pharmaciens néglige le fait que la féminisation résulte indirectement du numerus clausus. Les femmes réussissent en effet mieux aux concours de recrutement (celui des pharmaciens comme d’autres), pour un certain nombre de raisons plus ou moins bien analysées : la plus souvent avancée étant que les étudiantes se révèlent en moyenne plus régulières et sérieuses dans le travail préparatoire que leurs homologues de sexe masculin. Bien peu de pharmaciens se plaignent néanmoins de la féminisation de la profession – non-dit précédent – parce que celle-ci a permis de gommer le principal défaut du numerus clausus : dans ce contexte de pénurie organisée de pharmaciens, les femmes servent de variable d’ajustement. Elles acceptent davantage que les hommes les postes d’assistant(e), de remplaçant(e), ou encore les temps partiels. Ceci vaut d’autant plus que l’Ordre autorise au compte-goutte les ouvertures d’officines. Alors que le loi force les pharmaciens à embaucher un diplômé par tranche de chiffre d’affaires annuel de 1,18 million d’euros, le nombre de grosses pharmacies (trois pharmaciens ou plus) a augmenté : un cinquième du total en 1998 pour un tiers en 2007.
« La France comptait exactement 72 322 pharmaciens, dont 65,5 % de femmes, inscrits au tableau de l'Ordre le 1er janvier. […] Les trois quarts exercent en officine, qu'ils en soient propriétaires (titulaires) ou salariés (adjoints). ‘Les effectifs continuent d'augmenter mais de moins en moins vite, commente le Dr Audhoui. Avec un numerus clausus à 2 990 étudiants par an, et des départs en retraite qui atteindront bientôt 3 400 à 3 500 par an à cause du papy-boom, le renouvellement ne se fera plus.’ » Nul ne propose on le voit de tuer la poule aux œufs d’or… L’âge moyen des pharmaciens est de 45 ans, contre 40 ans en 1994 : à ce niveau, l’adaptation demandée du numerus clausus ressemble à une mesure cosmétique qui préserve la rente mais n’est pas à la hauteur des défis de demain… A ce sujet, et contrairement aux conclusions de l'article, les départs à la retraite constituent un problème mineur : les pharmaciens d'avant 1971 c'est-à-dire travaillant depuis plus de 36 ans, représentent une proportion de plus en plus faible des effectifs totaux.
La France de 1999 comptait 2.148.000 de Français âgés de 80 ans et plus. Ce chiffre est de 2.747.000 en 2005. Cette augmentation de 28 % en six ans correspond à un taux annuel de progression de 4,65 %, quand le nombre de pharmaciens croît en une année… de 0,8 % [71.147 + 575 = 72.322 (données au 1er janvier 2007)] Il faut en outre ajouter que le numerus clausus continue d’instiller une dose non négligeable d’incertitudes : tout le monde ignore, au ministère de la Santé comme au Conseil de l’ordre la proportion des 2.990 diplômés de 2007 qui rentrera dans le secteur privé ; de la même façon, la féminisation signifie de facto une proportion de futures diplômées (plus ou moins momentanément) indisponibles pour cause de grossesses, de congés – maternité, ou de mobilité professionnelle du conjoint. Concernant l’augmentation de la consommation de médicaments, il est toutefois manifeste que les personnes âgées partagent avec le reste de la population la responsabilité de cette évolution.
PS./ Dernier papier sur le vieillissement : Vieillesse de plume.
Les effets négatifs de cette mesure n'ont pas manqué. L’Etat détermine en France un niveau minimal de connaissances, sans prise en compte de ce qui prévaut dans les autres pays de l’Union européenne, nombre d’entre eux n’imposant aucun numerus clausus. Autorisera-t-on un pharmacien polonais à ouvrir boutique dans l’Hexagone s’il en fait la demande ? Autre reproche formulé, le numerus clausus aggrave les problèmes de recrutement. Dans les années 1970, la corporation craignait sans doute la hausse du nombre des inscriptions en faculté de médecine. Mais elle a négligé la perspective d’un vieillissement de la population française – augmentation du nombre des catégories les plus âgées et les plus gourmandes en prescriptions – autant que les découvertes liées à la recherche pharmacologique et médicale, celle-ci élargissant la gamme des médicaments disponibles.
Concernant les effectifs, le numerus clausus provoque un effet immédiatement positif en bloquant à la porte du concours des étudiants dont personne n’a besoin dans les années 1970. L’effet négatif intervient une trentaine d’années plus tard, parce que les besoins (voir plus haut) ont fortement progressé, comme toute politique ciblée sur l’offre sans prise en compte de la demande. Les pharmaciens formés avant 1971 partent en grand nombre à la retraite, avec l’impossibilité – numerus clausus oblige – de les remplacer à effectif équivalent. L’article évoque une augmentation du nombre de pharmaciens à hauteur de 575 par an dans les dernières années.
Qu’a gagné la corporation des pharmaciens dans cette réglementation malthusienne dont elle se garde bien de demander la suppression ? A sa création dans les années 1970, le numerus clausus provoque un effet d’appel, transformant les études de pharmacie, à l’instar de la médecine en voies d’excellence : plus le concours bloque d’étudiants à la porte de la deuxième année de faculté, plus cette perspective attire de candidats. Derrière l’effet psychologique dont je n’analyserai pas ici les ressorts, se cache un effet de mécanique économique. En limitant le nombre de diplômés de pharmacie, la corporation gère au milieu de l’intérêt de ses adhérents le monopole officiellement garanti par l’Etat. Des bénéfices grandissants repartis entre un nombre stable de pharmaciens signifient des revenus chaque année plus importants. Quel bénéficiaire s’en plaindra ?
« ‘Notre profession continue de se féminiser, et ce n'est pas un problème. Elle continue aussi de vieillir, et ça, c'est un problème.’ » Cette affirmation d’un représentant du Conseil de l’ordre des pharmaciens néglige le fait que la féminisation résulte indirectement du numerus clausus. Les femmes réussissent en effet mieux aux concours de recrutement (celui des pharmaciens comme d’autres), pour un certain nombre de raisons plus ou moins bien analysées : la plus souvent avancée étant que les étudiantes se révèlent en moyenne plus régulières et sérieuses dans le travail préparatoire que leurs homologues de sexe masculin. Bien peu de pharmaciens se plaignent néanmoins de la féminisation de la profession – non-dit précédent – parce que celle-ci a permis de gommer le principal défaut du numerus clausus : dans ce contexte de pénurie organisée de pharmaciens, les femmes servent de variable d’ajustement. Elles acceptent davantage que les hommes les postes d’assistant(e), de remplaçant(e), ou encore les temps partiels. Ceci vaut d’autant plus que l’Ordre autorise au compte-goutte les ouvertures d’officines. Alors que le loi force les pharmaciens à embaucher un diplômé par tranche de chiffre d’affaires annuel de 1,18 million d’euros, le nombre de grosses pharmacies (trois pharmaciens ou plus) a augmenté : un cinquième du total en 1998 pour un tiers en 2007.
« La France comptait exactement 72 322 pharmaciens, dont 65,5 % de femmes, inscrits au tableau de l'Ordre le 1er janvier. […] Les trois quarts exercent en officine, qu'ils en soient propriétaires (titulaires) ou salariés (adjoints). ‘Les effectifs continuent d'augmenter mais de moins en moins vite, commente le Dr Audhoui. Avec un numerus clausus à 2 990 étudiants par an, et des départs en retraite qui atteindront bientôt 3 400 à 3 500 par an à cause du papy-boom, le renouvellement ne se fera plus.’ » Nul ne propose on le voit de tuer la poule aux œufs d’or… L’âge moyen des pharmaciens est de 45 ans, contre 40 ans en 1994 : à ce niveau, l’adaptation demandée du numerus clausus ressemble à une mesure cosmétique qui préserve la rente mais n’est pas à la hauteur des défis de demain… A ce sujet, et contrairement aux conclusions de l'article, les départs à la retraite constituent un problème mineur : les pharmaciens d'avant 1971 c'est-à-dire travaillant depuis plus de 36 ans, représentent une proportion de plus en plus faible des effectifs totaux.
La France de 1999 comptait 2.148.000 de Français âgés de 80 ans et plus. Ce chiffre est de 2.747.000 en 2005. Cette augmentation de 28 % en six ans correspond à un taux annuel de progression de 4,65 %, quand le nombre de pharmaciens croît en une année… de 0,8 % [71.147 + 575 = 72.322 (données au 1er janvier 2007)] Il faut en outre ajouter que le numerus clausus continue d’instiller une dose non négligeable d’incertitudes : tout le monde ignore, au ministère de la Santé comme au Conseil de l’ordre la proportion des 2.990 diplômés de 2007 qui rentrera dans le secteur privé ; de la même façon, la féminisation signifie de facto une proportion de futures diplômées (plus ou moins momentanément) indisponibles pour cause de grossesses, de congés – maternité, ou de mobilité professionnelle du conjoint. Concernant l’augmentation de la consommation de médicaments, il est toutefois manifeste que les personnes âgées partagent avec le reste de la population la responsabilité de cette évolution.
PS./ Dernier papier sur le vieillissement : Vieillesse de plume.
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