vendredi 25 juin 2010

Mirage catalan et béton rapide. (Des thèses régionalistes et de la politique migratoire de la Generalitat)

Pour qui s'intéresse aux contestataires de l'Etat – nation en Europe, à ceux qui escomptent de la construction de l'Union la montée en puissance des régions, un récent article de La Croix (samedi 1er – dimanche 2 mars 2008 / entretien mis en forme par Sébastien Maillard / P.4) donne plusieurs pistes de réflexion. Michael Keating, de son état professeur d'études régionales à l'Institut universitaire européen de Florence, y expose sa vision « d'une troisième voie pour les régions » en Europe. Mais que signifie cette expression placée en exergue ? Elle renvoie le lecteur soixante ans en arrière. Dans l'immédiat après – guerre en effet, les blocs soviétique et occidental s'affrontent pour le contrôle du monde. Une poignée de dirigeants du Tiers monde – le terme n'est pas encore utilisé – réclament la possibilité de rester en retrait de cette guerre larvée. Or le mouvement des non alignés a abouti à une sorte d'impasse politique et économique.
Il ne m'appartient pas ici d'en faire le procès, mais la troisième voie suivie par les responsables politiques indiens, indonésiens, algériens, égyptiens, yougoslaves – pour ne citer que les principaux – a consisté à faire monter les dessous de tables distribués par Moscou et par Washington. Chaque camp monnayait ainsi un soutien souvent hypothétique. Ces sommes colossales ont affermi des régimes autoritaires, parfois responsables de crimes contre leurs populations (en Indonésie, par exemple). L'URSS et les Etats-Unis ont de cette façont porté à bout de bras financièrement des économies dirigées. Les Etats non alignés poursuivaient, non une troisième voie, mais la voie soviétique, un socialisme orthodoxe à peine tempéré. Par cette expression, Michael Keating en dit long sur l'idéal politique et les desseins plus ou moins implicites des dirigeants régionalistes, en Ecosse, au Pays basque ou en Catalogne. Les défenseurs des régions prétendent défendre une construction européenne, en faisant mine d'ignorer qu'elle n'avance plus depuis des années. Mais au fond, ces nouveaux féodaux ainsi que leurs affidés n'en attendent rien ; ils savent que Bruxelles leur garantirait (garantira ?) une paix royale en cas de mise au pas des Etats – nations : une suzeraineté lointaine mais redistributrice d'un côté, et une tutelle directe affaiblie de l'autre.
Venons-en maintenant au corpus de la démonstration : « L'Etat – nation est depuis longtemps l'élément de base de l'ordre international et des sciences politiques, en référence à des Etats souverains ou à l'identité de l'Etat et de la nation. Nous savons pourtant que ce n'est pas aussi simple que cela, d'autant que les concepts d'Etat et de nation sont en train de se transformer radicalement. » Outre que la deuxième phrase infirme la première, on remarque que l'Evolution constitue le socle de la réflexion : tout change et rien ne reste en place ; pourquoi pas ? Vanitas vanitatum, omnia vanitas lit-on dans l'Ecclésiaste. L'Ecossais florentin paraît gêné par les fondements immoraux de son domaine d'étude ! Non seulement les Etats constituent les pièces de l'échiquier diplomatique – quelle nouvelle !? – mais ils se prévalent à tort de représenter à eux seuls les nations. Puisqu'il y a mensonge, Michael Keating en déduit immédiatement que la vérité est ailleurs [1], qu'il faut incontinent partir en quête du bien : « C'est seulement [par moi souligné en gras] en faisant appel à ces identités et à ces liens que nous pourrons développer un projet social collectif et gérer notre insertion dans les marchés européens et mondiaux [...] une capacité d'action, d'autonomie et de projection en Europe. » Quels autres souhaits pourrait-on formuler en dehors de ceux-là ?!
Mais le professeur de Florence avertit en même temps que l'issue du combat des régions demeure incertaine. Malgré d'incontestables avancées, des forces maléfiques agissent dans l'ombre, à Bruxelles [2]. Qu'à cela ne tienne, Michael Keating voue aux gémonies les ennemis de la vérité régionaliste ; il menace même : « En réaction, ceci incite les nations sans Etat ou les régions au sein des nations à s'orienter vers l'indépendance pour obtenir les compétences que l'Europe aurait pu leur procurer autrement. » Rien de moins. Le doute ne l'effleure pas. Les obstacles disparaissent du sophisme : « je vais mal, mais mon chien est gai ; comme j'aime mon chien, je vais aller mieux. » Les convaincus se laisseront malheureusement convaincre.
Les élections générales en Espagne donnent en tout cas l'occasion aux journaux étrangers de brosser un tableau de la société espagnole en 2008, mais aussi de parler des régions autonomes. Marion Van Vanterghem s'intéressait la semaine passée dans le Monde aux débats concernant la place des populations d'origine étrangère. En Catalogne, constate-t-elle, celles-ci s'intègrent grâce à l'apprentissage du catalan. Dans une école de la banlieue de Gérone, 80 % des enfants sont immigrés (« 100 % si l'on compte les Espagnols non catalans »). « Les parents ne parlent que l'arabe marocain ou le berbère, l'une des sept langues de Gambie (bambara, wolof, fola, madega, sara...), le chinois, l'urdu du Pakistan, le roumain, éventuellement le français et au mieux le castillan s'ils viennent d'Equateur, de Bolivie ou d'autres régions d'Espagne. Les instituteurs, eux, ne s'adressent à eux qu'en catalan. Dura lex, sed lex : dans les établissements publics de la région, l'enseignement se fait exclusivement en catalan (les élèves apprennent le castillan comme une langue étrangère). » Marion Van Vanterghem commet donc un double contre-sens. Les non – Catalans vivent sans aucun contact avec la population locale, ce qu'elle confirme dans le reste de l'article [3].
Que cherchaient-ils à Gerone, si ce n'est un emploi ? « 794 000 étrangers vivaient en Espagne en 2000 ; ils sont maintenant 4,5 millions, soit 10 % de la population (13,5 % en Catalogne). » La journaliste évoque un retournement des mentalités et les prémices d'une crise économique, mais se tait sur les raisons de l'essor de l'économie espagnole, préférant fustiger les slogans d'une droite populiste et raciste [voir aussi El Pais]. Les industriels du bâtiment et de l'agriculture irriguée ont toutefois tiré pendant deux décennies les taux de croissance de l'Espagne. Mais dans un pays à coût de main d'oeuvre élevée, et à natalité déprimé (1,4 enfant par femme en 2007 / Population reference bureau), ces succès proviennent d'un recours massif à une main d'oeuvre peu qualifiée et sous payée. Que les prix de l'immobilier s'affaissent et le mirage catalan du béton rapide s'évanouira. Et les immigrés prétendument intégrés parce qu'ils maîtrisent (...) la langue d'une seule région devront repartir à zéro ailleurs en Espagne. S'ils ne finissent pas expulsés.
Marion Van Renterghem ne doute cependant de rien. Dans un article complémentaire, elle décrit la politique religieuse de la Generalitat et la place réservée à l'Islam en Catalogne. Un Conseil islamique a été créé en 2000, composée de 19 membres. « Son objectif : être pour l'administration catalane un interlocuteur privilégié auprès de la communauté musulmane, former les imams, fédérer les salles de prière, unifier les fêtes religieuses, adapter l'islam d'un pays musulman à un pays non musulman et surtout, argument choc : 'Faire du catalan notre langue officielle.' » Seulement voilà, huit ans après, dans la liste des imams répertoriés sur place, 90 % sont Marocains ; on ne compte aucun européen. Et sur quatre mosquées officiellement ouvertes en Espagne, aucune ne se situe dans la région autonome. En Catalogne, régionalisme rime avec aventurisme. La promotion orientée et inefficace de l'islam tranche de surcroit avec l'argumentaire historique des nationalistes catalans défenseurs de la Gotolonia (pays des Goths) rempart de l'Europe contre les envahisseurs arabes au Xème siècle et base de départ de la Reconquista. Ennemis à géométrie variable...

PS./ Geographedumonde sur le national - régionalisme : Pauvre Corse… Déchirée entre rêveurs obsessionnels et dilapidateurs professionnels. Sur l'Espagne : Dur soleil méditerranéen contre doux hivers nordiques.


[1] « Si, dans certains pays, l'identité se rapporte clairement à l'Etat-nation, ailleurs, les citoyens ont une double identité, au niveau de l'Etat et à un niveau inférieur. » Il se garde de citer un seul de ces Etats – nations.
[2] « En dernier ressort, devant la Cour européenne de justice ou la Commission, ce ne sont pas ces régions qui sont responsables mais toujours l'Etat membre. Les Etats récupèrent ainsi, paradoxalement, une part du pouvoir concédé aux régions, grâce à l'Europe. De plus, le comité des régions n'est resté que consultatif. [...] Mais les régions n'ont pas obtenu grand chose ni de la Convention sur l'avenir de l'Europe ni du nouveau traité de Lisbonne, qui remplace le traité constitutionnel. L'intérêt pour ce qu'on a appelé l'Europe des régions est retombé. Les Etats n'ont pas voulu aller plus loin. La tendance est maintenant à l'uniformité et au renforcement de l'aspect intergouvernemental du projet européen. » i
A Salt, dans la banlieue de Gerone, « La maire déploie une carte de la commune. Salt est divisée en trois zones : au nord, la vieille ville, où vivent les habitants 'anciens'. Au centre, des bâtiments des années 1960 et 1970, construits pour loger les ouvriers venus d'Andalousie ou d'Estrémadure. Dans les années 1990, 'les gens du centre' se sont déplacés vers la nouvelle ville, au sud, faite de petits immeubles et d'espaces verts. Dans les bâtiments du centre, dégradés, se concentrent les nouveaux immigrants. Etrangers et autochtones ont tendance à vivre séparément. » / Marion Van Renterghem / Le Monde.

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